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CONTINGENCE ET LIBERTÉ

matière, à travers le corps entier, doit être recueillie, rappelée dans tous les membres, pour qu’une fois rassemblée elle puisse suivre l’élan de l’esprit[1]. »

Voilà les faits d’expérience intime invoqués par Epicure, et qui nous obligent à reconnaître en lui, de la manière la plus inattendue, un prédécesseur de Maine de Biran.

Maintenant, de ces faits observables, par une induction fondée sur le principe de causalité, Epicure va passer à la considération de l’univers. Il n’y a rien sans cause, et quelque chose ne peut pas venir de rien, voilà le principe. Donc le pouvoir qui est en nous doit avoir sa cause et se retrouver dans les germes des choses, dans les « semences de vie » ou atomes ; donc il ne faut plus se représenter les atomes comme inertes et morts, mais comme portant en eux la puissance de se mouvoir. « C’est pourquoi dans les germes des choses il faut avouer qu’il existe également, outre le choc et outre la pesanteur, une autre cause de mouvement, de laquelle nous est venue à nous-mêmes cette puissance qui nous est innée : car de rien nous voyons que rien ne peut sortir[2]. »

Il existe donc en définitive d’après Epicure (et le témoignage de Cicéron confirme ici celui de Lucrèce), trois causes de mouvement de plus en plus profondes et intimes : le choc, qui est à la fois extérieur et fatal ; la pesanteur, qui est intérieure mais paraît encore fatale, et enfin la volonté, qui est tout à la fois intérieure et libre, libera voluntas[3]. Cette volonté se manifeste par le pouvoir de faire décliner le mouvement, de lui faire quitter la ligne droite ou la fatalité le poussait ; c’est en un mot le pouvoir de s’incliner soi-même au mou-

  1. Ibid., II, v. 263.

    « Nonne vides etiam, patefactis tempore puncto
    Carceribus, non posse tamen prorumpere equorum
    Vim cupidam tam desubito, quam mens avet ipsa ?
    Omnis enim totum per corpus materiai
    Copia conquiri debet, concita per artus
    Omnes, ut studium mentis connixa sequatur. »

  2. Lucr., 284.

    Quare in seminibus quoque idem fateare necesse est
    Esse aliam, præter plagas et pondera, causam
    Motibus, unde hæc est nobis innata potestas :
    De nihilo quoniam fieri nil posse videmus.

  3. Ibid., II, 256.