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L’ÉPICURISME CONTEMPORAIN

système, et qui le force à se perfectionner sans cesse, à réapparaître sous des formes toujours nouvelles au moment même où parfois on le croyait renversé. Tel a été le système épicurien dans l’histoire, et de nos jours même son développement n’est pas achevé ; il vit et se continue encore, mais sous une forme toute nouvelle, dans l’école anglaise contemporaine. On ne peut juger l’épicurisme abstraction faite des doctrines anglaises ; aussi nous proposons-nous, dans un autre ouvrage, d’étudier spécialement ces doctrines[1]. Pour le moment, au lieu d’une appréciation encore prématurée, nous nous bornerons à marquer les points où la pensée épicurienne s’est développée chez les successeurs actuels d’Épicure. L’histoire des progrès d’une doctrine n’est autre chose qu’une sorte de critique vivante, plus intéressante et plus utile souvent qu’un jugement qui n’est jamais définitif.

Tous les Épicuriens, et c’est là l’idée fondamentale de leur doctrine, s’accordent à affirmer que le plaisir ou la peine sont les seules forces qui mettent l’être en mouvement, les seuls leviers à l’aide desquels on puisse produire une action quelle qu’elle soit.

Ce principe posé, Épicure et ses continuateurs en concluent que, le plaisir étant la seule fin des êtres, la morale doit être pour chaque individu l’art de se procurer à lui-même la plus grande somme de plaisirs personnels. La morale ainsi entendue n’est plus autre chose, comme l’a dit lui-même un utilitaire, que la régularisation de l’égoïsme. Hobbes avant Spinoza a essayé de construire une géométrie des mœurs, Helvétius construit une physique des mœurs, d’Holbach une physiologie des mœurs ; mais, sous ces noms divers, la morale épicurienne n’est toujours en somme que la recherche de l’intérêt personnel ; elle repose sur la confusion hardie du fait et du devoir. En fait, croit-elle, l’individu ne poursuit que son plaisir propre. En droit, c’est aussi son plaisir qu’il doit poursuivre, soit que ce plaisir se trouve par hasard en opposition avec celui d’autrui, soit qu’il se trouve par hasard en harmonie avec lui. Et néanmoins, tous les Épicuriens, y compris même La Mettrie, s’accordent pour engager l’individu à ne pas se retrancher dans, un sot égoïsme, à cultiver l’amitié, à se montrer sociable

  1. V. notre Morale anglaise contemporaine.