Page:Guyau - La Morale d’Épicure et ses rapports avec les doctrines contemporaines.djvu/230

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
226
LES SUCCESSEURS MODERNES D’ÉPICURE

à la lecture d’Helvétius. Pour se faire une idée de l’influence que La Rochefoucauld a exercée, tant sur le développement des idées épicuriennes et utilitaires que sur leur succès, il faut se rappeler les paroles de Voltaire : « Ses Mémoires sont lus, et l’on sait par cœur ses Pensées. » Helvétius reconnaît en lui son prédecesseur, et par là même son maître : voici comment, à propos de la confusion commise par certaines personnes entre le mot amour-propre et le mot vanité, il apprécie les Pensées : « Lorsque le célèbre M. La Rochefoucauld dit que l’amour-propre est le principe de toutes nos actions, combien l’ignorance de la signification de ce mot amour-propre ne souleva-t-elle pas de gens contre cet illustre auteur !... Il était cependant facile d’apercevoir que l’amour-propre, ou l’amour de soi, n’était autre chose qu’un sentiment gravé en nous par la nature, que ce sentiment se transformait dans chaque homme en vice ou en vertu.... La connaissance de ces idées aurait préservé M. de La Rochefoucauld du reproche tant répété, qu’il voyait l’humanité trop en noir ; il l’a connue telle qu’elle est. » Il ne l’a pas seulement connue, — ou cru connaître : il l’a fait connaître à tout le xviiie siècle, et sa doctrine, passant dans Helvétius, d’Holbach, Saint-Lambert, Volney, sortira avec eux de France : elle ira porter son influence jusque chez Bentham et ses nombreux disciples.