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INTRODUCTION

mort. Les nations qui avaient autrefois résolu d’une façon trop vicieuse le problème religieux ont été le plus souvent dépassées et effacées par celles qui apportaient une solution moins imparfaite ; le sentiment religieux a toujours communiqué une force d’expansion considérable aux nations chez lesquelles il s’est manifesté à son plus haut degré. Il en sera ainsi, dans l’avenir, des idées et des sentiments moraux ou sociaux. Les peuples qui sur ce point auront les notions les plus justes se verront portés en avant et élevés au-dessus des autres avec une puissance irrésistible. La solution la meilleure du problème moral et social fera la force du peuple qui l’aura trouvée.

Maintenant, quel est le peuple, quel est l’homme qui trouvera cette solution ou du moins qui en approchera le plus près ? S’il était permis de le prévoir, il serait possible en une certaine mesure de prévoir l’avenir, de déterminer d’avance la suite des événements ; celui qui connaîtrait la vérité morale et sociale pourrait d’avance fixer la marche de l’histoire, comme on peut fixer la marche d’un vaisseau quand on connaît le point invisible vers lequel il va. Mais aujourd’hui le temps n’est plus où chaque penseur affirmait avec une certitude presque sacerdotale de quel côté était la vérité. La croyance exclusive dans la rectitude absolue de sa propre pensée est une idée de même nature que les idées religieuses, et elle tend à s’affaiblir comme elles. Nous sommes maintenant moins disposés à croire, plus disposés à chercher. On se défie de sa propre pensée ; on a vu tant d’idées crouler autour de soi et parfois en soi-même, qu’on n’ose plus s’appuyer sur aucune avec une confiance entière et exclusive. Le doute se tient toujours non loin de l’affirmation, prêt à la restreindre. Est-ce un mal ? Non, car la circonspection n’empêche point l’ardeur à la recherche, et si la vérité est longue à découvrir, on peut être infatigable à la poursuivre.

Si cette ardeur à poursuivre le vrai doit nous posséder, c’est surtout quand il s’agit des problèmes qui intéressent la conduite des individus et des sociétés ; là c’est une sorte de devoir que de chercher de quel côté est le devoir et de quel côté doit marcher l’humanité. Or, au fond, tout le débat sur les questions morales et sociales, dont nous venons de voir l’importance croissante, peut se ramener dans son principe au débat des partisans de l’intérêt et des partisans de la vertu méritoire, des Epi-