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LES SUCCESSEURS MODERNES D’ÉPICURE

qu’alors, étant posées les prémisses du système, à savoir l’homme conçu comme animal non sociable et sans liberté, Hobbes en a tiré les conclusions rigoureuses, et il n’était guère possible de prendre sa logique en défaut. Mais, à partir de ce moment, ce ne sera plus seulement le philosophe impartial et consciencieux ; ce sera le défenseur de la monarchie absolue, l’ami et le maître de Charles II. Aussi la déduction va-t-elle cesser d’être exacte : la logique du partisan ne vaut plus celle du penseur.

De même que toute la partie politique des écrits de Hobbes aura moins de valeur scientifique et renfermera moins de vérité, elle aura aussi moins de valeur historique et moins d’influence sur la formation des systèmes postérieurs. Le despotisme dont Hobbes s’est fait l’avocat a été renversé par Guillaume d’Orange et réfuté par Locke ; à partir de ce moment, il est entièrement chassé des systèmes utilitaires et épicuriens : Helvétius est libéral ; d’Holbach, Diderot le sont ; Saint-Lambert lui-même, ainsi que Volney ; l’école utilitaire anglaise, sur laquelle la doctrine de Hobbes a exercé une influence énorme, mais qui a su habilement compenser Hobbes par Locke, l’abandonne entièrement à partir de l’endroit où nous sommes arrivés, et suit les principes de son adversaire, qui d’ailleurs, sur bien des points, n’est que son disciple conséquent.

On peut accorder à Hobbes que la volonté de tous, surtout au sortir de l’état de guerre où il nous replace, a besoin de se personnifier en quelques-uns, de se fixer, de s’unifier pour ainsi dire. Mais il est possible de produire cette union de deux manières, soit en déléguant à une assemblée, pour un temps limité, un pouvoir limité ; soit en aliénant au profit d’une assemblée ou d’un seul homme, pour un temps illimité, un pouvoir sans limites. Hobbes, comme nous allons le voir, n’examinant que la seconde hypothèse, triomphe trop aisément des partisans de la liberté. Entre un homme souverain ou une assemblée souveraine d’une part, et une assemblée mandataire de l’autre, il y a quelque différence. Hobbes divise le grand traité sur le Citoyen en deux parties principales[1], où il nous montre succes-

  1. La troisième partie, Religio, était évidemment accessoire aux yeux de Hobbes, incrédule comme la plupart des épicuriens.