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LES SUCCESSEURS MODERNES D’ÉPICURE

représentant de la force ou de la ruse, Hobbes est prêt à s’écrier après Calliclès : C’est en lui que brille dans tout son éclat la justice de la nature[1].

La conception de la guerre comme état primitif de l’humanité est capitale chez Hobbes. Nous retrouverons plus tard cette doctrine de l’état de guerre universel, fécondée et transformée par la science, dans la théorie naturaliste de « la lutte pour la vie », lutte déclarée non pas seulement par tous les hommes à tous les hommes, mais par tous les êtres à tous les êtres. Ainsi étendue à la nature entière, ainsi élargie et portée hors de l’horizon borné qui la renfermait d’abord, cette loi semble devenir un bien plutôt qu’un mal : elle est le seul moyen de cette sélection qui, pour les êtres inférieurs et même pour l’humanité des premiers âges, rendit seule le progrès possible.

L’état de guerre, une fois déduit de la constitution même de l’homme et solidement établi, comment Hobbes nous en fera-t-il sortir ?

La loi première et fondamentale de la nature, c’est, nous le savons, qu’il faut chercher la paix, car la paix est le plus grand des biens ; or voici la conséquence immédiate de cette loi : pour obtenir la paix désirée, il faut abandonner le droit que la nature nous donnait sur toutes choses et qui produisait la guerre, il faut le transmettre à autrui, à condition qu’autrui nous transmette le sien ; il faut, par exemple, que je dise aux autres hommes : cédez-moi votre droit sur les fruits que je cueille de ma main, et je vous cèderai mon droit sur les fruits que vous cueillerez vous-mêmes. Cette translation réciproque, cet échange de droits qui sont naturellement absolus, et qui, par ce merveilleux phénomène de l’échange, se bornent l’un l’autre, – c’est le contrat, origine de la société. Le contrat de Hobbes n’est autre chose, sous une forme beaucoup plus compliquée, que le σύμβολον τοῦ συμφέροντος dont parlait déjà Epicure.

Le premier précepte de la loi naturelle, en nous amenant de l’état de guerre au contrat, nous a fait faire un grand pas. Ce n’est pas assez : car l’existence de la société exige non-seulement l’existence de conventions, mais de conventions durables.

Pour que les lois naturelles deviennent ainsi lois ou

  1. De cive, Lib., p. 6, annot. — Cf. Leviath., De hom., xiii.