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CHAPITRE III


LE PROGRÈS DANS L’HUMAN1TÉ


I. — Antagonisme entre l’idée fondamentale de toute religion et l’idée de progrès. — Qu’au contraire l’idée de progrès est inhérente à toute doctrine naturaliste et sensualiste ; qu’elle était virtuellement contenue dans les systèmes d’Epicure et de Démocrite.
II. — Textes d’Epicure et de Lucrèce, qui indiquent jusqu’à quel point l’idée de progrès est arrivée dans l’épicurisme à la conscience d’elle-même. — La méthode de la sociologie moderne employée pour la première fois par Lucrèce. — Trois causes principales du progrès. — L’humanité anté-historique. L’état de nature et l’état de guerre. — Premières découvertes des hommes. — Constitution de la famille, puis des premières sociétés. — L’idée du pacte social exprimée par Lucrèce comme par Epicure — L’observation du pacte social, condition d’existence pour les peuples. — Théorie épicurienne du langage. — Découverte du cuivre et du fer. Le métier à tisser et le premier vêtement. — Les arts industriels et les beaux-arts. — Conclusions de Lucrèce : vue d’ensemble sur les progrès de l’humanité. — Les idées de Lucrèce exprimées de nouveau par Virgile et par Horace. — Les mêmes idées développées par Sénèque. — Comment elles passent en se transformant de l’antiquité aux temps modernes.
III. — Des raisons qui ont entravé dans l’antiquité le développement de l’idée de progrès. — Préjugés ascétiques mêlés à l’épicurisme et qui ont empêché Lucrèce d’apprécier à sa valeur le progrès de l’industrie et des arts.


I. — On s’accorde généralement à penser que l’idée de progrès fut presque absente dans l’antiquité ; on n’en a retrouvé la trace ni chez Socrate, ni chez Platon, ni chez les Stoïciens jusqu’à Sénèque. Ce qui est certain, c’est que cette idée apparut tard et demeura longtemps très vague. Au Moyen-Age elle fait également défaut chez les scolastiques, — Roger Bacon excepté, — et ne se réveille qu’à la Renaissance.

Il est intéressant de se demander pourquoi l’homme a mis tant de temps à prendre conscience du mouvement qui le porte en avant, qui lui fait sans cesse chercher et trouver le mieux.

Peut-être pourrait-on dire que l’idée de progrès est en antagonisme avec l’idée religieuse, et que, si l’une a été