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ÉPICURE

Nous pouvons maintenant comprendre pourquoi les Pyrrhoniens et les partisans d’une morale dogmatique luttent entre eux sans jamais pouvoir s’entendre, les premiers ne voyant dans les mœurs et les lois des peuples que diversité et contradiction, les seconds n’y apercevant qu’harmonie et unité. Selon Epicure les uns et les autres ont raison : ce qu’il y a d’universel, c’est la recherche du plus grand intérêt possible ; et comme un certain nombre d’intérêts (par exemple celui de ne pas tuer, de ne pas réduire en esclavage, etc.) sont les mêmes pour tous, il s’ensuivra que les articles du contrat tacite qui protègent ces intérêts seront à peu près les mêmes chez tous les hommes. D’autre part il y a une foule d’autres intérêts qui varient d’une époque et d’une contrée à l’autre : les lois inspirées par eux seront donc variables et particulières. Au premier point de vue les partisans du dogmatisme ont raison ; au second point de vue ils ont tort. « En général, le juste est le même pour tous, car il y a quelque chose d’utile dans la société mutuelle » (et dans certaines lois qui sont les conditions immédiates de cette société) ; « mais, en particulier, de la différence des lieux et de toutes autres causes, il résulte que la même chose n’est pas juste pour tous[1]. » Les idées qu’exprime ici Epicure sont exactement celles des utilitaires Anglais, et sur ce point les disciples n’ont fait que reproduire la doctrine de leur maître antique[2].

    intérieure : elle produit l’équilibre des désirs et des passions ; « par sa force propre et sa nature elle rasserène les âmes ; » l’injustice, au contraire, par sa seule présence (hoc ipso, quod adest), amène le trouble dans l’âme (De fin., I, xvi, 50). En partant de ce principe, Epicure a pu en venir à recommander la justice indépendamment de ses conséquences sociales, et à défendre l’injustice, dût-elle rester cachée à tous les yeux. C’est même sur ce côté de sa doctrine que ses disciples semblent avoir insisté de préférence. Philodème, par exemple, conseille de s’attacher à l’esprit plutôt qu’à la lettre de la loi, d’être juste avec plaisir, non par nécessité, de l’être avec fermeté, non avec inquiétude. – De rhet., Volumina Herculan., v. a. col. 25: Μεθ᾽ ἡδονῆς, οὐ δι᾽ ἀνάγκην, καὶ βεβαίως, ἀλλ᾽ οὐ σαλευομένως.

  1. Κατὰ μὲν τὸ κοινόν, πᾶσι τὸ δίκαιον τὸ αὐτὸ (συμφέρον γάρ τι ἦν ἐν τῇ πρὸς ἀλλήλους κοινωνία) · κατὰ ὃξ τὸ ἴδιον, χώρας καὶ ὅσων δήποτ᾽ αἰτιῶν, οὐ πᾶσι συνέπεται τὸ αὐτὸ δίχαιον εἶναι. Diog. L., x, 151 .
  2. « Il semblerait, » dit M. Bain après Epicure, « il semble que, dans les règles suggérées par les nécessités publiques et communes, il y a une certaine uniformité causée par la ressemblance de