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CHAPITRE II


LA JUSTICE ET LE CONTRAT SOCIAL


La justice naturelle ramenée à la loi civile par les sophistes, par les sceptiques et par Démocrite. — État de la question à l’époque d’Epicure. — Points qui restaient à élucider. — Que la société humaine, selon Epicure, a pour fin l’intérêt ; qu’elle s’est formée par le consentement mutuel de chacun de ses membres. — Première conception du pacte ou contrat social, clairement exprimée par Epicure. — Que la justice a pour principe le contrat et n’existe qu’entre les contractants. — En quoi l’injustice est un mal. — Que la justice peut varier en une certaine mesure, suivant les lieux et les temps. — Rapprochement entre les paroles d’Epicure et une page de M. Bain. — L’idéal social epicurien.


Avant Epicure, les sophistes s’étaient déjà attaqués à l’idée de justice. On sait avec quelle vigueur Platon fait parler Calliclès dans le Gorgias contre la prétendue loi naturelle supérieure et antérieure aux lois humaines. La vraie loi naturelle, c’est la loi du plus fort ; le critérium d’après lequel dans la nature on juge les actions, c’est la force. Dans la cité, cette force a passé aux mains de la loi ; mais si on obéit aux prescriptions du législateur, c’est encore la force qu’on respecte et devant laquelle on s’incline, non la justice. Pyrrhon et les sceptiques, succédant aux sophistes, défendirent la même cause : dans la nature il n’y a rien, disait Pyrrhon, de beau et de laid, de juste et d’injuste ; si la justice était naturelle, d’où viendrait la diversité des lois ? les Pyrrhoniens avaient recueilli soigneusement la plupart des contradictions observées entre les mœurs et les croyances des divers peuples, et ils en faisaient un de leurs arguments favoris contre la loi morale naturelle. Démocrite enfin, dont les livres exercèrent tant d’influence sur Epicure, niait également la justice naturelle. Ainsi, en résumé, voici où en était restée la question au temps d’Epicure : 1o il n’y a pas de loi naturelle,