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COURAGE ET TEMPÉRANCE

en face de la mort. Après avoir ainsi reconstitué l’idéal épicurien, il nous reste à chercher par quels moyens l’homme peut dans la pratique réaliser partiellement cet idéal ; quels que soient ces moyens, s’ils sont efficaces, ils seront légitimes : être heureux, nous le savons, c’est par cela même être vertueux. La vertu épicurienne, qui n’est ainsi qu’effet et moyen par rapport au bonheur, se confondra-t-elle cependant avec la vertu vulgaire qu’on a l’habitude de considérer comme étant par elle-même une fin ? L’intérêt et le devoir coïncideront-ils dans la conduite ? Tel est le problème nouveau qui se pose. Nous abordons la partie pratique de la doctrine épicurienne, qui n’est pas moins intéressante que la partie théorique. Epicure, pour soutenir jusqu’au bout son système, devra recourir à une théorie curieuse et toute moderne de la société humaine.

I. — Occupons-nous d’abord des vertus privées, qui sont dans une certaine mesure le principe de toutes les autres.

La principale vertu qu’admit l’antiquité, vertu a laquelle elle ramenait les autres, c’est le courage. Or le courage s’accorde avec la doctrine épicurienne, et même en un certain sens il la constitue ; car qu’est-ce que le courage sinon l’absence de trouble en face des événements de la vie ? et qu’est-ce que l’absence de trouble, l’ataraxie, si ce n’est le fondement même du bonheur et le but poursuivi par toute la doctrine épicurienne ? Nul ne se montrera plus courageux que le sage parce que nul ne verra moins de sujets d’effroi : il n’y aura point en lui de crainte, puisque, si on en croit Epicure, il n’y aura point pour lui de danger. Que redouterait-il ? la mort ? Il ne pense pas qu’elle soit un mal. La souffrance ? Il peut la rendre vaine. D’ailleurs, il ne prendra point en face d’elle la pose théâtrale d’un stoïcien ; il pourra sans honte, dans la torture, jeter des cris et des plaintes[1]; il n’en faudra pas conclure qu’il craint. Les hommes ne troubleront pas plus son calme que les foudres de Jupiter, ou les clous de la destinée : s’ils l’envient, s’ils le méprisent, il dominera par sa raison (λογισμῷ περιγίνεσθαι) leur haine, leur envie, leur mépris même[2].

  1. Diog. L., X. 118.
  2. Diog. L., X. 117.