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la providence et la société avec les dieux.

servation, des liens de causalité ne pouvaient manquer de s’établir entre les phénomènes ; seulement, pour les esprits primitifs, toute coïncidence devient une cause : post hoc, propter hoc. L’objet de cette coïncidence est un objet favorable et bon à garder, une providence souvent portative et comme mobilière. L’idée d’une destinée, c’est-à-dire d’un ordre de phénomènes aboutissant au bonheur ou au malheur, se forme ainsi, se superpose à la conception d’une nature animée et peuplée d’esprits. Le post hoc, ergo propter hoc, c’est-à-dire la croyance en l’influence des phénomènes successifs ou concomitants les uns sur les autres et en l’action du présent sur l’avenir, est à la fois le germe des superstitions sur la providence et sur le destui. De l’idée de destinée, de fortune, de nécessité, devait sortir la notion scientifique du déterminisme réciproque universel.

Peu à peu, par le progrès de l’expérience, l’homme en vient à concevoir une subordination des diverses volontés supérieures les unes aux autres, une sorte d’unification des providences, enfin une organisation plus ou moins régulière du monde. Alors, il fait remonter la responsabilité des événements à une cause de plus en plus lointaine, à une volonté de plus en plus puissante ; mais il persiste à croire que chaque événement est le signe, l’expression d’une volonté. Là encore nous retrouvons l’idée dualiste : un monde soumis à des volontés supérieures qui le dirigent, suspendant au besoin le cours ordinaire des choses.

À ce moment prend naissance l’idée de miracle. Le miracle est une notion d’abord très vague dans les religions primitives ; l’instant où cette notion commence à s’élucider marque un moment nouveau dans le développe-

    l’expérience avec un égal succès. Une autre fois, nous dit-il, il était atteint d’une dysenterie mortelle : il boit un verre d’eau dans lequel il a fait dissoudre un peu de poussière recueillie sur le tombeau du grand saint, la santé lui est rendue. Un jour qu’une arête lui était entrée dans le gosier, il va prier et gémir, prosterné devant le tombeau ; il étend la main vers la tenture, la touche, et l’arête disparaît. « Je ne sais pas ce qu’est devenu l’aiguillon, dit-il, car je ne l’ai ni vomi, ni senti passer dans mon ventre. » Un autre jour encore sa langue devient énorme et se tuméfie, il lèche la barrière qui entoure le tombeau de saint Martin, et sa langue revient au volume naturel. Les reliques de saint Martin guérissaient jusqu’aux maux de dents. « Ô thériaque inénarrable ! (s’écrie Grégoire de Tours), ineffable pigment ! admirable antidote ! céleste purgatif ! supérieur à toutes les habiletés des médecins, plus suave que les aromates, plus fort que tous les onguents réunis ! tu nettoies le ventre aussi bien que la scammonée, le poumon aussi bien que l’hysope, tu purges la tête aussi bien que le pyrèthre ! »