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la genèse des religions.

assez redoutable pour nous mettre, en une large mesure, sous sa dépendance. Esprits, mânes, dieux, tout se confond à l’origine dans un sentiment indistinct de terreur. Dès que les esprits peuvent se séparer des corps et exercer des actions mystérieuses dont nous sommes incapables, ils commencent à se diviniser ; c’est pour cette raison que la mort peut nous changer en des espèces de dieux.

Les esprits non seulement sont puissants, mais ils sont voyants, prévoyants ; ils connaissent des choses que nous ne connaissons pas. De plus, ils nous sont bienveillants ou hostiles : ils ont avec nous des rapports sociaux. Ce sont là les éléments qui, plus tard, en se réunissant, aboutiront à l’idée de divinité providentielle. La seconde idée semi-métaphysique qui est en germe au fond de toute religion fut donc celle d’esprits perspicaces, de dieux favorables ou défavorables, de providences. « Cet être me veut du bien ou du mal, et il pourra m’en faire ou ne pas m’en faire » : telle est la première formule naïve de la Providence. Il n’y faut pas encore chercher, à l’origine, la notion d’une intelligence générale ordonnatrice, mais bien celle d’un rapport social entre des volontés particulières bienfaisantes ou malfaisantes. La providence a été d’abord, comme toutes les autres idées religieuses, une superstition. Un sauvage a rencontré un serpent sur sa route : il réussit dans son entreprise, donc c’est le serpent qui lui a porté bonheur : voilà une rencontre providentielle. Les joueurs, de nos jours, ont aussi de singuliers porte-bonheur. La providence du fétichisme subsiste encore à notre époque sous la forme des médailles, des scapulaires, etc[1]. Par l’ob-

  1. La croyance aux reliques, poussée à un si haut point par les premiers chrétiens et par tant de catholiques d’aujourd’hui, est aussi une forme de la foi aux fétiches et aux amulettes. Dès les premiers temps du christianisme, las fidèles allaient jusqu’en terre sainte puiser l’eau du Jourdain, ramasser la poussière du sol que les pieds du Christ avaient foulé, briser des fragments de la vraie croix, qui, dit saint Paulin de Nole, « garde dans sa matière insensible une force vitale et, réparant toujours ses forces, demeure intacte, bien qu’elle distribue tous les jours son bois à des fidèles innombrables. «  Les reliques passaient pour guérir non seulement le corps, mais l’âme de ceux qu’elles touchaient : Grégoire le Grand envoie à un roi barbare les chaînes qui avaient servi à lier l’apôtre Pierre, en lui donnant l’assurance que ces mêmes chaînes qui ont lié le corps du saint peuvent délivrer le cœur de ses péchés.

    Cette superstition des reliques, commune à tout le moyen âge, a été traduite dans toute sa naïveté par l’évéque Grégoire de Tours. Il nous raconte qu’un jour où il souffrait de douleurs aux tempes, le contact de la tenture qui masquait le tombeau de saint Martin suffit à le guérir. Il répéta trois fois