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la physique religieuse et le sociomorphisme.

baissée dans les précipices. C’est à grand peine si la présence et les exhortations du berger réussissent à maintenir le troupeau dans le calme ; probablement les animaux voient dans le berger un ami puissant, capable de les protéger contre cet être terrible que les Hindous appelaient le « hurleur. » Si les animaux tremblent ainsi devant la foudre, il est bien invraisemblable que l’homme n’y voie rien que de normal et d’ordinaire. De même pour l’ouragan, qui semble une respiration immense, un souffle haletant. De même pour la tempête. On connaît le proverbe basque : « Si tu veux apprendre à prier, va sur mer. » C’est que tout homme qui se met aux mains d’un ennemi victorieux est porté à demander grâce. Qu’au moment de la tempête ou de l’orage le calme se produise tout à coup, que le soleil reparaisse comme une grande figure souriante, chassant les nuages avec ses « flèches d’or, » victorieux en se montrant, ne semblera-t-il pas un bienfaisant auxiliaire, ne l’accueillerat-on pas avec des cris de joie et d’enthousiasme ? Sans cesse la nature nous montre ainsi des changements de décor imprévus, des coups de théâtre qui ne peuvent pas ne pas nous faire croire qu’un drame se joue, dont les astres et les éléments sont les vivants acteurs. Et que de choses étranges se passent au ciel, pour ceux dont l’attention est une fois attirée là-haut ! Les éclipses de lune ou de soleil, les simples phases de la lune sont bien faites pour étonner ceux mêmes que MM. Spencer ou Max Müller déclarent « incapables d’étonnement. » Remarquons que la simple vue des astres, la nuit, provoque la plus vive admiration chez celui qui est habitué au sommeil sous un abri ; je me rappelle encore ma surprise d’enfant lorsque, veillant pour la première fois un soir, je levai par pur hasard les yeux en haut et aperçus le ciel étincelant d’étoiles : c’est une des choses qui m’ont le plus frappé dans ma vie[1]. En

  1. Rappelons à ce propos que, d’après Wuttke, J.-G. Müller et Schultze, le culte de la lune et des astres nocturnes aurait précédé celui du soleil, contrairement aux opinions admises jusqu’ici. Les phases de la lune étaient très propres à frapper les peuples primitifs, et elles durent éveiller de très bonne heure leur attention. Toutefois il faut se garder, en ces questions, de généraliser trop vite et de croire que l’évolution de la pensée humaine a suivi partout la même voie. Les milieux sont trop différents pour n’avoir pas, dès l’origine, diversifié à l’infini les conceptions religieuses. En Afrique, par exemple, il est évident a priori que le soleil ne possède pas tous les caractères d’une divinité ; il ne se fait jamais désirer ni regretter, comme dans les pays du Nord ; il est plutôt malfaisant que bienfaisant ; aussi les Africains adoreront-ils de préférence la lune et les astres nocturacs, dont la