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la physique religieuse et le sociomorphisme.

la première fois qu’à l’âge de dix-huit mois, et qui faillit en mourir de peur, ainsi que je l’ai vu pour d’autres animaux dans diverses circonstances. L’impression que lui laissa sa terreur fut si forte que, lorsque dans la suite il entendait les exercices du tir d’artillerie, confondant ce bruit avec celui du tonnerre, il prenait uq aspect pitoyable ; si l’on était à la chasse, il cherchait à se cacher ou à gagner la maison. Après avoir entendu de nouveau le tonnerre à deux ou trois reprises, son horreur pour le canon devint plus grande que jamais, si bien que, malgré son amour pour la chasse, il fut désormais impossible de le tirer du chenil, tant il craignait que les exercices du canon ne commençassent lorsqu’il serait loin de la maison. Mais le gardien, qui avait une grande expérience en ce qui concerne l’éducation des chiens, m’assura que, si je permettais que celui-ci fût une fois amené à la batterie pour y apprendre la véritable cause du bruit analogue à celui du tonnerre, il pourrait redevenir apte à chasser. Je doute peu que tel n’eût été le cas, car une fois, lorsqu’on déchargeait des sacs de pommes dans le fruitier, le bruit dans la maison rappelant celui du tonnerre éloigné, le setter en fut fort inquiet, mais, lorsque je l’eus mené au fruitier et que je lui eus montré la vraie cause du bruit, sa terreur l’abandonna : en rentrant à la maison, il écouta le sourd grondement avec une parfaite quiétude d’esprit. »

À examiner les choses de près, on est étonné de voir combien de causes portent incessamment à placer dans tels ou tels objets réellement passifs l’activité, la vie, et une vie ou une activité d’un caractère extraordinaire, mystérieux. Ces mêmes causes agirent évidemment avec beaucoup plus de force sur le sauvage, sur l’homme primitif, sur l’homme des temps quaternaires ou sur l’anthropoïde encore inconnu dont on retrouve les instruments dans les terrains tertiaires. Les animaux vulgaires, en effet, sont à peu près dépourvus d’attention, ce qui fait que, pour créer en eux une idée durable, il faut la répétition prolongée d’une même sensation, il faut une habitude. Aussi, dans leur intelligence encore grossière ne se gravent que les faits les plus fréquents ; il ne connaissent le monde extérieur que par des moyennes. Les faits exceptionnels les frappent un instant, mais glissent bientôt sur leur cerveau sans s’y fixer. Dans cette machine imparfaite, l’usure est très rapide et fait vite disparaître les traces des phénomènes particuliers qui ne peuvent se fondre avec tous