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la genèse des religions.

montra que le sentiment du mystérieux était, chez cet animal, assez puissant pour expliquer à lui seul sa conduite. Après avoir amené le terrier dans une chambre garnie d’un tapis, M. Romanes fit des bulles de savon qu’un courant d’air intermittent entraînait à ras du sol. Le chien prit un grand intérêt à la chose et semblait ne pouvoir décider si l’objet était vivant ou non. « Tout d’abord il fut très prudent et il ne suivait les bulles qu’à distance ; mais, comme je l’encourageai à les examiner de plus près, il s’approcha, oreilles dressées, queue basse, avec beaucoup d’appréhension éidemment : dès que la bulle s’agitait, il reculait. Après un certain temps, cependant, durant lequel j’avais toujours au moins une bulle sur le sol, il gagna du courage et, l’esprit scientifique prenant le dessus sur le mystérieux, il devint assez courageux pour s’approcher lentement de l’une d’elles et puis mettre la patte dessus, non sans quelque anxiété. Naturellement, la bulle éclata aussitôt, et je n’ai certainement jamais vu étonnement plus vif. Je fis encore des bulles, mais je ne pus persuader le chien d’approcher, pendant un assez long temps : il finit cependant par le faire et recommença à mettre la patte dessus avec précaution. Le résultat fut le même qu’avant. Après cette seconde tentative, impossible de l’amener à s’approcher de nouveau des bulles : en insistant, je n’arrivai qu’à lui faire quitter la chambre, dans laquelle aucune caresse ne put le faire rentrer. » La même expérience, ayant été refaite par le professeur Delbœuf sur son chien Mouston, a donné un résultat plus marquant encore. « À la quatrième bulle qui éclatait, sa fureur ne connut plus de bornes ; mais il ne chercha pas à la saisir ; il se contenta d’aboyer contre elle avec tous les accents de la colère, jusqu’à ce qu’elle s’éclipsât à son tour. J’aurais voulu recommencer le jeu, et je l’ai tenté ; mais, à mon grand regret, je dus m’en abstenir, parce que l’état dans lequel je mettais mon chien était vraiment inquiétant. Dès que je prenais le vase contenant l’eau de savon, il n’écoutait plus ma voix. Cet état était évidemment dû, chez lui, à une contradiction mentale entre le fait et cet axiome d’expérience : Tout ce qui est coloré est tangible. L’inconnu se dressait devant lui avec ses mystères et ses menaces, l’inconnu, source de la peur et des superstitions. »

Selon M. Romanes, la peur que beaucoup d’animaux ont du tonnerre est due à quelque sentiment du mystérieux. « J’avais une fois un setter qui n’entendit le tonnerre pour