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la physique religieuse et le sociomorphisme.

étroite et insuffisante. Si l’on veut découvrir une idée qui domine à la fois le culte des morts et le culte des dieux, on la trouvera dans cette persuasion naturelle à l’homme que rien n’est absolument ni définitivement inanimé, que tout vit ou revit, conséquemment a des intentions et des volontés. L’homme a déifié les phénomènes de la nature, comme il a immortalisé ses ancêtres, par cette seule raison que, pour un être vivant et voulant, ce qu’il y a eu primitivement de plus difficile à comprendre, c’est le déterminisme régulier des phénomènes et la complète inertie semblable à la mort.

L’adoration des forces naturelles, conçues comme plus ou moins analogues à des puissances vivantes et à des volontés, a été nommée par les uns fétichisme, par les autres naturisme. MM. Müller et Spencer s’accordent à faire du fétichisme une des formes postérieures de la religion, et ne veulent rien y trouver de primitif. En ce débat de haut intérêt, une chose nous paraît faire totalement défaut de part et d’autre : c’est la précision des formules et l’entente sur le sens exact des termes. Les mots fétiche, être animé, être inanimé, etc., nous semblent donner lieu à une foule de méprises, où sont tombés à la fois ceux qui défendent la théorie fétichiste et ceux qui l’attaquent. Citons des exemples. M. Max Müller s’est efforcé de définir le mot fétichisme : comme il convenait à un philologue, il en a cherché l’étymologie, et il a trouvé, après Tylor, que fétichisme (du portugais feitiço, dérivé lui-même du latin factitius, artificiel), ne pouvait pas désigner autre chose qu’un respect superstitieux ressenti ou témoigné pour de véritables brimborions, sans titre apparent à une telle distinction honorifique. La définition de Tylor et de M. Max Müller peut être exacte philologiquement ; le malheur est que, parmi les philosophes qui ont placé le fétichisme à l’origine des religions, aucun n’a jamais pris ce mot dans le sens étroit et rigoureux où le prend M. Max Müller ; ils entendent par là, avec de Brosses et A. Comte, la tendance primitive à concevoir les objets extérieurs comme animés d’une vie analogue à celle de l’homme. Ils comprennent en outre dans le fétichisme ce que M. Müller en distingue avec soin sous les noms de physiolâtrie, ou culte rendu à des objets naturels autres que des brimborions, et de zoolâtrie, ou culte rendu aux animaux. La conséquence, c’est que les réfutations de M. Max Müller n’atteignent pas réellement la doctrine qu’il veut réfuter