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la genèse des religions.

subtilité de conception panthéiste est un produit ultérieur de la spéculation métaphysique. À l’origine, on ne distinguait pas la figure du dieu et le dieu lui-même. C’est à grand’peine que l’humanité est arrivée à la conception de la différence de l’esprit et du corps ; a fortiori est-ce beaucoup plus tard qu’elle a pu en venir à se représenter l’unité de l’esprit suprême sous la multiplicité de ses modes.


Une dernière forme de ce vague idéalisme qui a inspiré MM. Max Müller et de Hartmann, comme il avait déjà inspiré Strauss, c’est la théorie de M. Renan sur « l’instinct religieux », sur la « révélation de l’idéal » M. Renan entend par là quelque chose de mystérieux et de mystique, une voix du ciel s’élevant en nous, une révélation subite et presque sacrée. « La religion dans l’humanité, écrit-il, est l’équivalent de la nidification chez l’oiseau. Un instinct s’élève tout à coup mystérieusement chez un être qui ne l’avait jamais senti jusque-là. L’oiseau qui n’a jamais pondu ni vu pondre sait d’avance la fonction naturelle à laquelle il va contribuer. Il sert, avec une sorte de joie pieuse et de dévotion, à une fin qu’il ne comprend pas. La naissance de l’idée religieuse dans l’homme se produit d’une manière analogue. L’homme allait inattentif. Tout à coup un silence se fait, comme un temps d’arrêt, une lacune de la sensation : — Oh ! Dieu ! se dit-il alors, que ma destinée est étrange ! Est-il bien vrai que j’existe ? Qu’est-ce que le monde ? Ce soleil, est-ce moi ? Rayonne-t-il de mon cœur ?… père, je te vois par delà les nuages ! — Puis le bruit du monde extérieur recommence ; l’échappée se ferme ; mais, à partir de ce moment, un être en apparence égoïste fera des actes inexplicables, éprouvera le besoin de s’incliner et d’adorer[1]. » Cette belle page, où l’on retrouve les onctions et les extases des Gerson et des Fénelon, nous semble résumer fort bien l’opinion de ces nombreux modernes qui s’efforcent de substituer au respect des religions chancelantes le respect du sentiment religieux. Par malheur M. Renan nous raconte ici un véritable mythe. Jamais à l’origine l’homme n’a rien éprouvé de semblable. M. Renan semble confondre complètement les idées et les sentiments qu’il a pu éprouver lui-même, his-

  1. Dialogues philosophiques, p. 39.