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l’immortalité dans le naturalisme moniste.

de leurs variations. Il doit y avoir une évolution dans l’organisation des consciences comme il y en a une dans l’organisation des molécules et des cellules vivantes, et, là aussi, ce sont les combinaisons les plus vivaces, les plus durables et les plus flexibles tout ensemble, qui doivent l’emporter dans la lutte pour la vie.

La conscience est un ensemble d’association d’idées et conséquemment d’habitudes, groupées autour d’un centre ; or nous savons que l’habitude peut avoir une durée indéfinie. Pour la philosophie contemporaine, les propriétés des éléments matériels sont déjà des habitudes, des associations indissolubles. Une espèce végétale ou animale est une habitude, un type de groupement et de forme organique qui subsiste à travers les siècles. Il n’est pas prouvé que les habitudes d’ordre mental ne puissent par le progrès de l’évolution, arriver à une fixité et à une durée dont nous ne connaissons aujourd’hui aucun exemple. Il n’est pas prouvé que l’instabilité soit le caractère définitif et perpétuel des fonctions les plus élevées de la conscience. L’espérance philosophique de l’immortalité est fondée sur la croyance opposée, selon laquelle, au dernier stade de l’évolution, la lutte pour la vie deviendrait une lutte pour l’immortalité. La nature en viendrait alors, non à force de simplicité, mais à force de complexité savante, à réaliser une sorte d’immortalité progressive, produit dernier de la sélection. Les symboles religieux ne seraient que l’anticipation de cette période finale. « Des ailes, des ailes à travers la vie, des ailes par delà la mort, » dit Rückert ; mais l’oiseau n’apprend pas d’un seul coup à voler ; l’habitude héréditaire du vol a été acquise et fortifiée dans l’espèce en vue d’intérêts pratiques et de la lutte pour l’existence. De même, il faudrait concevoir la survivance non pas comme achevée et complète du premier coup, mais comme se perfectionnant par degrés, se rapprochant de plus en plus d’une vie entièrement, indéfiniment durable. D’autre part, il faudrait montrer que cette survivance constitue une supériorité non seulement pour l’individu, mais pour l’espèce même, au sein de laquelle l’individu cesserait de s’éteindre brusquement. Par là, elle pourrait être le produit dernier d’une sélection continue.

Considérons donc maintenant les consciences dans leur rapport mutuel et, pour ainsi dire, social. La psychologie contemporaine tend à admettre que des consciences différentes, ou, si l’on préfère, des agrégats différents d’états