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la genèse des religions.

pour parvenir où nous nous trouvons. Sachons découvrir ce qu’il y a de bon et de vrai dans tous les credo de l’humanité. Peut-être toutes les religions humaines, dégagées des légendes qui les altèrent, peuvent-elles, aux esprits élevés, fournir une religion vraiment complète ; peut-être leurs fondations les plus profondes, comme jadis les catacombes ou les cryptes de nos cathédrales, serviront-elles encore une fois d’asile « à ceux qui, dans un credo ou dans l’autre, aspirent à quelque chose de meilleur, de plus pur, de plus vrai que ce qu’ils trouvent dans les rites, les offices, les sermons des temps où le hasard les a jetés. »

Cette haute théorie est-elle exacte ? D’abord elle cherche à tort dans la civilisation hindoue le type des religions primitives. En outre, elle intervertit l’ordre de l’évolution en plaçant au début des notions élevées, symboles profonds, dont l’expression par le langage aurait induit en erreur les générations ultérieures[1]. Mais le défaut capital de cette théorie, c’est qu’elle place l’origine des religions dans une des idées métaphysiques les plus vagues et en même temps les plus modernes : l’infini. S’il fallait en croire M. Müller, cette idée nous serait fournie par les sens mêmes : son système se présente ainsi comme un essai de conciliation entre les sensualistes et les idéalistes. Mais la doctrine qui fait provenir des sens mêmes la notion d’infini et s’efforce ainsi de lui fournir un fondement objectif, nous paraît reposer sur une véritable confusion. Autre chose est le sentiment du relatif, autre chose le sentiment de l’infini ; qu’il y ait des objets très grands, des objets très petits, que chacun soit même grand ou petit selon le terme de comparaison, voilà ce que nous disent les sens ou plutôt la mémoire ; mais si la raison subtile d’un savant moderne ne leur souffle rien, ils n’en diront pas davantage. M. Müller semble croire que la perception de l’espace nous fournit directement la perception de l’infini ; mais, outre l’inexactitude de cette psychologie, elle est contraire à toutes les données historiques. L’infinité de l’espace est une idée à laquelle ne

  1. M. Müller, on le sait, est allé jusqu’à croire que les auteurs des premiers mythes auraient eu conscience qu’ils s’exprimaient par images ; la méprise des générations suivantes aurait ensuite personnifié les figures et les noms du divin ; la mythologie serait une « maladie du langage, a disease. »