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l’irréligion de l’avenir.

notre savoir et étend à l’infini ses conséquences. Même au point de vue purement physique et physiologique. le bien pensé n’est pas perdu, le bien tenté n’est pas perdu, puisque la pensée, le désir façonnent les organes. L’idée même de ce qui est aujourd’hui une chimère implique un mouvement réel de notre cerveau ; elle est encore une « idée-force » qui contient son élément de vérité et d’influence. Nous héritons non seulement de ce que nos pères ont fait, mais de ce qu’ils n’ont pu faire, de leur œuvre inachevé, de leur effort en apparence inutile. Nous frémissons encore des dévouements et des sacrifices de nos ancêtres, des courages dépensés même en vain, comme nous sentons au printemps passer sur nos cœurs le souffle des printemps antédiluviens et les amours de l’âge tertiaire.

Puisque l’essor des générations présentes a été rendu possible par une série de chutes et d’avortements passés, ce passé même, ce passé ébauché et embryonnaire devient la garantie de notre avenir. Il est, dans le domaine moral comme dans le domaine physiologique, des fécondations encore mal expliquées. Parfois, longtemps après la mort de celui qui l’a aimée le premier, une femme met au monde un enfant qui ressemble à celui-là : c’est ainsi que l’humanité pourra enfanter l’avenir sur un type entrevu et chéri dans le passé, même quand le passé semblait enseveli pour toujours, si dans ce type il y avait quelque obscur élément de vérité et, par conséquent, de force impérissable. Ce qui a vraiment vécu une fois revivra donc, ce qui semble mourir ne fait que se préparer à renaître. La loi scientifique de l’atavisme devient ainsi un gage de résurrection. Concevoir et vouloir le mieux, tenter la belle entreprise de l’idéal, c’est y convier, c’est y entraîner toutes les générations qui viendront après nous. Nos plus hautes aspirations, qui semblent précisément les plus vaines, sont comme des ondes qui, avant pu venir jusqu’à nous, iront plus loin que nous et peut-être, en se réunissant, en s’amplifiant. ébranleront le monde. Je suis bien sur que ce que j’ai de meilleur en moi me survivra. Non, pas un de mes rêves peut-être ne sera perdu : d’autres les reprendront, les rêveront après moi, jusqu’à ce qu’ils s’achèvent un jour. C’est à force de vagues mourantes que la mer réussit à façonner sa grève, à dessiner le lit immense où elle se meut.

En définitive, dans la philosophie de l’évolution, vie et