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l’irréligion de l’avenir.

d’espérance, comme un joyeux arc de triomphe, ou bien sera-t-elle basse comme la porte du tombeau, et donnant sur l’ombre infinie ? Telle est la grande interrogation à laquelle toutes les religions ont essayé de fournir une réponse. « Le dernier ennemi qui sera vaincu, a dit saint Paul, c’est la mort ; » peut-être aussi la mort est-elle le dernier secret qui sera pénétré par la pensée humaine. Les idées qui tendent à dominer dans la philosophie moderne semblent d’ailleurs se tourner contre la perpétuité de notre moi. L’idée d’évolution, principalement, enveloppe celle de mobilité et paraît aboutir à la dissolution des individus plus sûrement encore qu’à celle des mondes et des espèces. La forme individuelle et la forme spécifique ne semblent pas avoir plus de fixité l’une que l’autre. Sur les pans de muraille des catacombes on voit souvent, grossièrement dessinée, la colombe de l’arche portant le rameau vert, symbole de l’âme qui a abordé par delà l’océan à l’éternel rivage ; aujourd’hui le rivage recule à l’infini devant la pensée humaine, l’océan immense s’est rouvert : où cueillir, dans la nature sans fond et sans bornes, le rameau d’espérance ? La mort est un abîme encore plus grand que la vie.

Quand Platon arrivait devant ce problème de la destinée, il ne craignait pas de se lancer en plein dans les hypothèses philosophiques et même dans les mythes poétiques. Nous voudrions examiner quelles sont aujourd’hui les suppositions ou, si l’on veut, les rêves qu’on peut faire encore sur la destinée à venir en s’inspirant surtout de la philosophie dominante à notre époque, celle de l’évolution. Dans la conception actuelle de la nature, Platon trouverait-il encore quelque refuge pour ces « belles espérances » dont il faut, dit-il, « s’enchanter soi-même ? » En Allemagne et surtout en Angleterre, on se plaît à chercher ce qui peut subsister des antiques croyances religieuses dans nos hypothèses scientifiques et philosophiques, fût-ce sous la forme la plus problématique et la plus incertaine. Nous voudrions faire ici, à propos de l’immortalité, un travail analogue, aussi conjectural que peut l’être toute perspective sur le mystère des destinées. Est-il besoin de dire que nous ne prétendons nullement « démontrer » ni l’existence, ni même la probabilité scientifique d’une vie supérieure ? Notre dessein est plus modeste : c’est déjà beaucoup de faire voir que l’impossibilité d’une telle vie n’est pas encore prouvée et que, devant la