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le naturalisme moniste. destinée des mondes.

— Mais, a-t-on dit, si d’autres globes que le nôtre sont habiles par des êtres intelligents et aimants, se nourrissant comme nous du « pain quotidien » de la science, ces êtres ne peuvent cependant être très notablement supérieurs à nous, car ils nous auraient donné déjà des signes visibles de leur existence. — Parler ainsi, c’est ne pas compter assez avec cette puissance terrible de l’espace, qui isole si bien les êtres et peut les emprisonner dans l’infini plus étroitement qu’entre les parois d’un cachot. On peut même se demander si des êtres dont l’intelligence serait relativement infinie et presque sans commune mesure avec la nôtre, mais qui seraient éloignés de nous par un espace également incommensurable, ne verraient pas leur puissance brisée par l’espace et incapable de s’étendre au delà de certaines distances. Notre témoignage, quand il s’agit de l’existence de tels êtres, n’a pas plus de valeur que celui d’une fleur de neige des régions polaires, d’une mousse de l’Himalaya ou d’une algue des profondeurs de l’océan Pacifique, qui déclareraient la terre vide d’êtres vraiment intelligents parce qu’ils n’ont jamais été cueillis par une main humaine. Si donc il existe quelque part des êtres véritablement dignes du nom de « dieux », ils sont probablement encore si éloignés de nous, qu’ils nous ignorent comme nous les ignorons, ils réalisent peut-être notre idéal, et cependant cette réalisation de notre rêve restera toujours étrangère à nos générations.


    gnante à notre anthropomorphisme instinctif, que, si l’évolution générale de la vie obéit à des lois nécessaires, une simple série d’accidents et de circonstances favorables peut faire dominer telle espèce sur telle autre, et que l’ordre de dignité des espèces pourrait être interverti sans que la marche générale de l’évolution fût pour cela suspendue.

    D’ailleurs, le développement de l’intelligence dans une planète tient sans doute beaucoup moins à la taille et au nombre des habitants qu’à la nature même de la vie organique qui y a pris naissance, et comme cette vie s’est constituée sous la dépendance étroite des phénomènes de chaleur, de lumière, d’électricité, et des modifications chimiques qu’ils produisent, ce sont ces phénomènes qui décident en quelque sorte de l’avenir intellectuel de la planète Kant avait émis cette hypothèse que, dans un système astronomique, par exemple dans notre système solaire, la perfection intellectuelle et morale des habitants croît en raison de leur éloignement de l’astre central, et suit ainsi le refroidissement de la température ; mais c’est là encore une hypothèse beaucoup trop simpliste pour rendre compte de choses si complexes, où la température est bien loin d’être le seul élément. Ce qui reste probable d’après les lois de la vie à nous connues, c’est que la pensée ne doit pouvoir facilement se faire jour ni dans un brasier, ni dans un glacier, et que l’inter utrumque est, ici encore, une condition nécessaire du développement organique et intellectuel.