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l’irréligion de l’avenir.

scientifique. En même temps, il se confond tout à fait avec l’élan métaphysique et poétique. Le croyant se transforme en philosophe ou en poète, mais en poète qui vit son poème et qui rêve l’extension de sa bonne volonté propre à la société universelle des êtres réels ou possibles. La formule du sentiment moral et religieux que Feuerbach avait proposée : — réaction du désir humain sur l’univers, — peut alors se prendre en un sens supérieur : — Double désir et double espérance, 1o que la volonté sociable dont nous nous sentons animés personnellement se retrouve aussi, comme le fait supposer la biologie, dans tous les êtres placés au sommet de l’évolution universelle ; 2o que ces êtres, après avoir été ainsi portés en avant par l’évolution, réussissent un jour à la fixer, à arrêter en partie la dissolution, et qu’ils fixent par là même dans l’univers l’amour du bien social ou, pour mieux dire, l’amour même de l’universel.

Ainsi formulé, le sentiment religieux demeure ultra-scientifique, mais il n’est plus antiscientifique. Il suppose beaucoup, sans doute, en admettant une direction possible de l’évolution par les êtres arrivés au degré supérieur ; mais, après tout, comme nous ne pouvons affirmer avec certitude que cette direction n’existe pas ou ne pourra jamais exister, le sentiment moral et social nous excite à agir, dans notre sphère, de manière à produire, autant qu’il est en nous, cette direction supérieure de l’évolution universelle. Si, comme nous l’avons dit, la moralité est un phénomène de fécondité morale, on comprendra que tout être moral ait nécessairement les yeux tournés vers l’avenir, espère ne pas voir mourir son œuvre, veille au salut de ce quelque chose de soi qu’il a livré à autrui — son amour, — par lequel non seulement il s’est voué aux autres, mais a fait aussi les autres siens dans une certaine mesure, a pris des droits sur eux, les a conquis pour ainsi dire en se donnant à eux. En travaillant pour l’humanité, pour l’univers à qui elle est liée, j’acquiers des droits sur l’univers : il s’établit entre nous un rapport de dépendance réciproque. La plus haute conception de la morale et de la métaphysique est celle d’une sorte de ligue sacrée, en vue du bien, de tous les êtres supérieurs de la terre et même du monde.


II. — Maintenant, quels sont les faits scientifiques qui pourraient s’opposer à ces espérances sur la destinée des mondes et de l’humanité ?