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le naturalisme moniste.

entre l’essentiel du panthéisme et l’essentiel du théisme[1]. Selon nous, il faut maintenir la balance, plus que ne le font les philosophes précédemment cités, entre les aspects matériel et mental de l’existence, entre la science objective et le savoir subjectif de la conscience. Le monisme ne désigne donc pour nous qu’une hypothèse unifiant les données les plus positives de la science, qui sont inséparables de celles de la conscience même. L’unité fondamentale que désigne le terme de monisme n’est pas pour nous la substance une de Spinoza, l’unité absolue des Alexandrins, ni la force inconnaissable de Spencer, encore moins une cause finale préalablement existante comme dans Aristote. Nous n’affirmons pas non plus une unité de figure et de forme qu’offrirait l’univers. Nous nous contentons d’admettre, par une hypothèse d’un caractère scientifique en même temps que métaphysique, l’homogénéité de tous les êtres, l’identité de nature, la parenté constitutive. Le vrai monisme, selon nous, n’est ni transcendant ni mystique, il est immanent et naturaliste. Le monde est un seul et même devenir ; il n’y a pas deux natures d’existence ni deux évolutions, mais une seule, dont l’histoire est l’histoire même de l’univers.

Au lieu de chercher à fondre la matière dans l’esprit ou l’esprit dans la matière, nous prenons les deux réunis en cette synthèse que la science même, étrangère à tout parti pris moral ou religieux, est forcée de reconnaître : la vie. La science étend chaque jour davantage le domaine de la vie, et il n’existe plus de point de démarcation fixe entre le monde organique et le monde inorganique. Nous ne savons pas si le fond de la vie est « volonté », s’il est « idée », s’il est « pensée », s’il est « sensation », quoique avec la sensation nous approchions sans doute davantage du point central ; il nous semble seulement probable que la conscience, qui est tout pour nous, doit être encore quelque chose dans le dernier des êtres, et qu’il n’y a pas dans l’univers d’être pour ainsi dire entièrement abstrait de soi. Mais, si on laisse les hypothèses, ce que nous pouvons affirmer en toute sûreté de cause, c’est que la vie, par son évolution même, tend à engendrer la conscience ; le progrès de la vie se confond avec le progrès même de la conscience, où le mouvement se saisit comme sensation. Au dedans

  1. V. chapitre précédent.