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l’irréligion de l’avenir.

simple et primitive dont le monde entier n’est pour eux qu’une évolution. Si toute matière, par exemple, suivant les théories les plus récentes, se réduit à l’hydrogène, le matérialisme posera l’hydrogène comme constituant une sorte d’unité matérielle ou substantielle du monde. La variété n’aurait lieu que dans les formes de l’élément primitif, hydrogène ou, si l’on préfère, préhydrogène.

Il faut bien avouer que cette conception est quelque peu naïve et nominale : le nom matériel ou chimique n’exprimera jamais que le dehors, les propriétés extérieures de l’élément primordial. L’atome d’hydrogène est probablement déjà un composé d’une complexité extrême, un monde formé de mondes en gravitation. L’idée même de l’atome indivisible et insécable est philosophiquement enfantine. Thomson et Helmholtz ont montré que nos atomes sont des tourbillons, et ils ont réalisé expérimentalement des tourbillons analogues formés de fumée (par exemple, la fumée de chlorhydrate d’ammoniaque). Chaque « anneau-tourbillon » est toujours composé des mêmes particules ; on ne peut en séparer une seule des autres : il a ainsi une individualité fixe. Qu’on essaie de couper les anneaux-tourbillons, ils fuiront devant la lame ou s’infléchiront autour d’elle, sans se laisser entamer : ils sont insécables. Ils peuvent se contracter, se dilater, se pénétrer en partie l’un l’autre, se déformer, mais jamais se dissoudre. Et de là certains savants ont conclu : « Nous avons donc une preuve matérielle de l’existence des atomes. » Oui, à condition d’entendre par atome quelque chose d’aussi peu simple, d’aussi peu primordial, d’aussi énorme relativement qu’une nébuleuse. Les atomes sont « insécables » comme une nébuleuse est insécable pour un couteau, et l’atome d’hydrogène offre à peu près la même « simplicité » que notre système solaire. Expliquer tout par l’hydrogène, c’est un peu comme si on expliquait l’origine du monde en supposant donnés le soleil et ses planètes. On ne peut faire sortir de l’hydrogène le monde actuel qu’à la condition de mettre dans les prétendus atomes d’hydrogène autre chose que ce que les physiciens et les chimistes en connaissent, du point de vue extérieur où ils se placent. Le matérialisme a donc besoin d’élargir son principe pour le rendre fécond : « Elargissez, » comme dirait Diderot, votre athéisme et votre matérialisme.

Une fois élargi, le matérialisme devra tout d’abord attri-