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l’irréligion de l’avenir.

théorie hindoue, bien interprétée, selon laquelle tous les degrés de la nature sont au fond des degrés dans la moralité.

Hypotheses fingo, c’est la devise de la métaphysique. L’idéalisme moral, tel que nous venons de le résumer d’après un auteur contemporain, n’est assurément qu’une hypothèse, et une hypothèse contestable ; mais c’est pourtant, semble-t-il, la forme de naturalisme idéaliste la moins incompatible avec la théorie de l’évolution et avec les faits de l’histoire naturelle ou de l’histoire humaine[1]. De plus, elle est un des meilleurs refuges du sentiment religieux dégagé de ses formes mystiques, comme de sa transcendance, et ramené dans les sphères de la nature. L’activité inconnue qui est au fond de la nature même en étant venue à produire dans l’homme la conscience et le désir réfléchi du mieux, il y a là un motif d’espérer, un motif de croire que le mot de l’énigme des choses n’est pas, au point de vue métaphysique et moral : « Il n’y a rien. »

Nous avons plusieurs fois cité la définition de la religion donnée par Schleiermacher : sentiment de notre absolue dépendance par rapport à l’univers et à son principe. Quand le sentiment religieux se transforme en idéalisme moral, il tend vers une formule qui, sous certains rapports, est l’inverse de la précédente : — sentiment de la dépendance de l’univers par rapport à la volonté du bien que nous constatons en nous et que nous supposons être ou pouvoir devenir le principe directeur de l’évolution universelle. La pensée de l’idéal moral et social, l’« idée de liberté », au lieu d’être dans l’univers un simple accident de surface, serait alors la révélation et la conscience progressive de ses lois les plus fondamentales, de son moteur le plus intime, de la vraie « essence des choses », la même chez tous les êtres à des degrés divers et en des combinaisons diverses. La nature entière est comme une ascension éternelle vers un idéal qu’elle conçoit de mieux en mieux, mais qui la domine toujours. Quand on monte sur un sommet pour contempler une chaîne de montagnes, on voit, à mesure qu’on s’élève, surgir et se ranger tout le long de l’horizon les cimes blanches de neige ; debout, l’une à côté de l’autre.

  1. Cette forme d’idéalisme est également compatible avec le monisme qui tend à dominer de nos jours ; elle finit même par se confondre avec le monisme, notamment chez M. Fouillée. (Voir plus loin.)