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l’irréligion de l’avenir.

Il n’en est pas de même de la seconde forme d’idéalisme, c’est-à-dire de l’idéalisme objectif.

Là, toute existence matérielle est ramenée à un mode d’existence mentale : l’être est identifié, soit avec la loi idéale qui préside au développement de cet être, soit avec le fond réel de nos consciences, de nos sensations, de nos désirs. « Le monde, a dit Emerson, est de l’esprit précipité ».

Cette hypothèse est certainement une de celles qui peuvent le mieux servir de substitut au théisme, si le théisme disparaît jamais de la métaphysique religieuse. Mais, selon nous, la grande objection qu’on peut faire à l’idéalisme ainsi entendu est la suivante : — Sert-il beaucoup d’objectiver l’esprit, si on ne change rien par là à l’existence du mal, que Platon identifiait à la matière ? On a beau transformer toute évolution en une évolution mentale, on ne la hâte pas pour cela. On transporte seulement au dedans de l’esprit les obstacles mystérieux qu’il croyait rencontrer dans une matière extérieure : on spiritualise donc le mal même. Après avoir identifié les choses qui évoluent avec la loi intelligible et intellectuelle qui préside à cette évolution, il reste toujours à expliquer pourquoi cette loi est sur tant de points mauvaise, pourquoi l’intelligence essentielle aux choses présente tant de contradictions et de défaillances.

Malgré cette objection, qui ne recevra peut-être jamais de complète réponse, il est certain que l’idéalisme nous laisse plus d’espérance morale et sociale que les autres systèmes. À la pensée, comme à une suprême ressource, peut se rattacher encore, malgré le mal et la douleur, ce désir de progrès et de « salut « qui fait le fond de la spéculation religieuse. Toutefois, pour donner à cette doctrine une forme plus acceptable, il ne faudra pas seulement entendre par pensée l’intelligence, il faudra entendre aussi le sentiment, le désir, le vouloir. Et de fait, à l’idéalisme purement intellectualiste d’autrefois nous voyons succéder, de nos jours, un idéalisme fondé surtout sur la volonté comme principe des choses[1]. La sensibilité universellement répandue est la conséquence de la volonté universellement présente, et l’intelligence proprement dite, du moins en tant que représentation, est plus « superficielle » que le

  1. Voir Schelling, Schopenhauer, Lotze, Wundt, Secrétan, et, chez nous, MM. Ravaisson, A. Fouillée, Lachelier, et, dans une certaine mesure, M. Renouvier.