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la genèse des religions.

religion primitive, et les orthodoxes, qui trouvent dans le monothéisme le type naturel et non encore altéré de la religion. Suivant lui, nous le savons, nommer un Dieu ou des dieux, c’est déjà avoir l’idée du divin, de l’infini ; les dieux ne sont que des formes diverses, plus ou moins imparfaites d’ailleurs, dont les divers peuples revêlent l’idée religieuse une chez tous : la religion est pour ainsi dire un langage par lequel les hommes ont cherché à traduire une même aspiration intérieure, à se faire comprendre du grand être inconnu ; si leur bouche ou leur intelligence a pu les trahir, si la diversité et l’inégalité des cultes est comparable à la diversité et à l’inégalité des langues, cela n’empêche pas au fond que le véritable principe et le véritable objet de tous ces cultes et de toutes ces langues ne soit à peu près le même. Selon M. Max Müller, un fétiche, au sens propre du mol (factitius), n’est qu’un symbole qui présuppose une idée symbolisée ; d’un fétiche ne peut pas sortir l’idée de dieu si elle n’y était déjà attachée. « Des objets quelconques, des pierres, des coquillages, une queue de lion, une mèche de cheveux, ne possèdent pas par eux-mêmes une vertu théogonique et productrice des dieux. » Donc les phénomènes du fétichisme ont toujours des antécédents historiques et psychologiques. Les religions ne commencent pas par le fétichisme, mais il est plus vrai de dire qu’elles y aboutissent ; il n’en est pas une qui se soit maintenue pure sous ce rapport. Les Portugais catholiques, qui reprochaient aux nègres leur fertiços, n’étaient-ils pas les premiers à avoir leurs chapelets, leurs croix, leurs images bénites par les prêtres avant le départ de la patrie ?

Si, d’après M. Max Müller, le fétichisme, entendu comme il l’entend, n’est pas la forme primitive de la religion, si le monothéisme conscient ne l’est pas davantage, il sera plus exact de dire que la religion première, du moins aux Indes, a consisté dans le culte de divers objets pris tour à tour isolément comme représentation d’un dieu (εἳς), non d’un Dieu unique et seul (μόνος). C’est ce que M. Max Müller appelle, d’un nom forgé par lui, l’hénothéisme (ἳς, ένός, par opposition à μόνος), ou mieux encore le kathénothéisme[1]. Dans le polythéisme ordinaire, les dieux ont des hiérarchies, des rangs divers ; l’ordre règne en ce ciel

  1. Ce mot a fait fortune en Allemagne. M. de Hartmann prend aussi pour point de départ l’hénotheisme.