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I. — LE PANTHÉISME OPTIMISTE


La première espèce de panthéisme, qui admet une substance se développant dans une infinité de modes par une nécessité étrangère à toute finalité, est le panthéisme purement intellectualiste et rationaliste de Spinoza. Cette doctrine nous montre dans le grand Tout la logique immanente qui préside à son développement. La vraie nature de l’homme, c’est la raison, puisque la raison est l’essence de l’homme. L’acte propre de la raison est de comprendre, et comprendre, c’est apercevoir la nécessité des choses. Cette nécessité est la Nature, ou, si l’on veut, c’est Dieu. « Nous ne tendons, par la raison, à rien autre chose qu’à comprendre ; et l’âme, en tant qu’elle se sert de la raison, ne juge utile pour elle que ce qui la conduit à comprendre. » Concevoir l’absolue nécessité de la nature éternelle, c’est concevoir ce qui, n’étant soumis qu’à sa propre loi, est libre ; c’est donc concevoir l’éternelle liberté. Par cela même, c’est participer à cette liberté, et s’identifier avec elle. La science de la nécessité ne fait donc qu’un avec la liberté. La pensée de l’homme s’identifie alors à la pensée divine et devient la conscience de l’éternité. Cette conscience, produisant la suprême joie, c’est l’amour de Dieu. L’idéal mystique des Hébreux et des Chrétiens semble se confondre avec les théories morales de l’antiquité, dans la vaste synthèse que propose Spinoza. L’intuition intellectuelle, c’est la nature ayant conscience de soi ; la liberté intellectuelle des Stoïciens, qui est la conscience même de la nécessité, c’est la nature se possédant elle-même ; l’extase mystique, enfin, par laquelle l’individualité s’absorbe dans l’être universel, c’est la nature rentrant en soi et retrouvant son existence éternelle sous ses modes passagers[1].


Ce que la philosophie morale et religieuse a toujours objecté et objectera toujours au panthéisme de Spinoza, considéré comme un substitut possible de la religion, c’est son fatalisme optimiste, où tout se fait par la nécessité

  1. Voir le chapitre sur Spinoza dans notre Morale d’Épicure, p. 230.