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la physique religieuse et le sociomorphisme.

Müller, que ce n’est pas là une perception au sens ordinaire du mol, encore moins est-ce un pur l’aisonnenient : « S’il semble trop hardi de dire que l’homme voit réellemont l’invisible, disons qu’il souffre de l’invisible, et cet invisible n’est qu’un nom particulier de l’infini. » Non seulement l’homme saisit nécessairement l’infini en dehors du fini, comme l’enveloppant, mais il l’aperçoit à l’intérieur même du fini, comme le pénétrant ; la divisibilité à l’infini est d’évidence sensible, même lorsque la science semble demander comme postulat l’existence de l’atome. Et ce qu’on vient de dire pour l’espace s’applique au temps, à la qualité et à la quantité. « Par delà le fini, derrière le fini, au-dessous du fini, au sein même du fini, l’infini est toujours présent à nos sens. Il nous presse, nous déborde de toutes parts. Ce que nous appelons le fini, dans le temps et dans l’espace, n’est que le voile, le filet que nous jetons nous-mêmes sur l’infini. » Qu’on n’objecte pas que les langues primitives n’expriment en aucune façon cette idée de l’infini, de l’au delà, qui est donnée avec toute sensation bornée : est-ce que les langues anciennes savent désia-ner les nuances infinies des couleurs ? Démocrite ne connaissait que quatre couleurs : le noir, le blanc, le rouge, le jaune. Dira-t-on donc que les anciens ne voyaient pas le Dieu du ciel ? Le ciel était bleu pour eux comme pour nous, mais ils n’avaient pas trouvé la formule de leur sensation. Ainsi de l’infini, qui existe pour tous, même pour ceux qui n’arrivent pas à le nommer. Or, qu’est-ce que l’infini, si ce n’est pas l’objet dernier de toute religion ? L’être religieux, c’est celui qui n’est pas satisfait de telle ou telle sensation bornée, qui cherche partout l’au delà, en face de la vie comme en face de la mort, en face de la nature comme en face de soi-même. Sentir un quelque chose qu’on ne peut pas se traduire tout entier à soi-même, se prendre de vénération pour cet inconnu qui tourmente, puis chercher à le nommer, l’appeler en bégayant, voilà le commencement de tout culte religieux. La religion de l’infini comprend et précède donc toutes les autres, et, comme l’infini est lui-même donné par les sens, il s’ensuit que « la religion n’est qu’un développement de la perception des sens, au même titre que la raison[1]. »

Du point de.vue où il s’est placé, M. Max Müller critique également les positivistes, qui voient dans le fétichisme la

  1. Orig. et dév. de la relig., p. 24.