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l’irréligion de l’avenir.

rente à l’avenir de l’univers. Est-il plus puissant que l’humanité, est-il même aussi puissant ? Son éternité n’est que la preuve d’une inaction volontaire ou forcée ; loin de l’élever, elle le rabaisse aux yeux de ses fidèles. Sur la surface de la terre bien des insectes sont probablement nés avant l’homme ; à travers l’ambre diaphane des terrains tertiaires on aperçoit le petit corselet des mélipones figé depuis cinq cent mille ans : ces lointains devanciers de l’homme en sont-ils à ses yeux plus vénérables ?


Stuart Mill, disciple d’Auguste Comte, avait une arrière-pensée en nous parlant de cette providence non omnipotente, conçue sur le type de la volonté humaine ; il songeait que pour beaucoup d’hommes éclairés un tel être, travaillant au bien dans la mesure restreinte de ses forces, se confondrait avec l’Humanité prise en son ensemble. L’Humanité est en effet, suivant la pensée de Comte, un grand être, divin par ses aspirations, auquel on peut en toute vérité de cœur rendre hommage, surtout si on fait abstraction de ces individus parasites qui n’ont pas coopéré à l’œuvre commune et que le progrès consiste précisément à exclure toujours davantage de la société. La religion devient alors, suivant la définition de Comte, l’état d’unité spirituelle résultant de la convergence de toutes nos pensées, de toutes nos actions vers le service de l’Humanité. C’est, disait Stuart Mill, une religion réelle, qui pourrait, mieux qu’une autre, résister aux attaques des sceptiques et reprendre la tâche des anciens cultes. Dans cette doctrine, la providence n’est autre que l’Humanité veillant sur son propre berceau. — Cette providence confondue avec la volonté humaine peut être assurément acceptée par tous les philosophes ; elle marque, nous le verrons plus tard, le dernier point auquel on puisse amener la notion du Dieu-Providence, le point où cette notion ne se distingue plus de la moralité humaine. Le précepte : aime les hommes en Dieu est alors retourné et devient celui-ci : aime Dieu dans les hommes. Pour un philosophe, qui identifie Dieu et l’idéal, les deux préceptes sont également vrais et beaux. N’avons-nous pas montré nous-même comment le sentiment religieux tend à se confondre, dans son évolution, avec le respect et l’amour de l’humanité, comment la foi religieuse tend à devenir une foi morale, et finalement une simple, mais active espérance dans le triomphe du bien moral ?

Les idées de Stuart Mill et de Comte sont donc à l’abri