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le théisme. idée de providence.

parfait que nous avons sous les yeux. Seulement, il faut bien l’avouer, cet amendement équivaut presque à une suppression pure et simple. En effet, la providence réduite à n’être ainsi qu’une des forces en jeu dans la nature, qui y amènent le triomphe plus ou moins partiel et provisoire du bien, ne se distingue guère de l’évolution même, de la sélection, de toute autre grande loi bienfaisante de l’univers ou des espèces. Personnifier de telles lois est scientifiquement inutile ; est-ce pratiquement très utile ? D’autre part supposer, à côté de ces lois, un être qui les regarde agir, mais en somme ne peut rien en dehors d’elles, c’est revenir à la conception des dieux paresseux. La première condition d’existence pour un dieu, c’est de servir à quelque chose : un dieu non omnipotent ressemble bien vite à un dieu impotent. Le monde actuel marque la limite extrême du pouvoir de ce dieu, et à un certain moment de l’évolution, les forces indifférentes de la nature, liguées contre le principe du bien, peuvent réussir à le paralyser entièrement.

Le dieu non omnipotent est-il éternel ? S’il ne l’est pas, nous ne voyons pas en quoi il est très supérieur à l’homme, auquel il ne parvient même as à révéler clairement son pouvoir, tant ce pouvoir est peu de chose. Si ce Dieu est éternel et éternellement présent à toutes choses, alors son impuissance grandit et devient radicale. On pouvait encore, après tout, se féliciter qu’une éternité aveugle et indifférente eût rencontré par hasard, au milieu de toutes les combinaisons possibles, celle qui a produit notre monde actuel ; mais un dieu qui poursuit le bien en toute conscience depuis l’éternité démontre son incapacité complète, s’il n’aboutit à rien de mieux qu’à cet avortemont de l’idéal qui est notre univers. Le jugement que nous devons porter sur le monde et sur la vie est tout entier subordonné à la question de savoir qui a fait le monde, qui a fait la vie : si le monde s’est constitué tout seul, dans le grand hasard de l’infini, il pourra nous apparaître, ce pauvre monde, comme ayant pourtant encore sa beauté, comme un premier gage d’espérance ; mais, s’il est l’œuvre d’une volonté présente à toutes choses et persistant dans ses desseins depuis l’éternité, on peut trouver que cette volonté n’a pas eu un grand pouvoir à son service, que l’importance de la victoire n’est pas en proportion avec la durée de la lutte, qu’un tel dieu n’est point un appui solide et que son existence est en somme assez indiffé-