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le théisme. idée de providence.

ser, par exemple, qu’un saint précipité du haut d’un rocher résiste à la loi de la pesanteur et remonte vers le ciel sans une contradiction manifeste avec les lois naturelles, sans une destruction de ces lois. De plus une loi morale est telle précisément en tant qu’elle diffère du réseau des lois naturelles et ne peut intervenir au milieu d’elles. Une loi naturelle seule peut suspendre d’une manière apparente l’action d’une loi naturelle.

Quelques-uns ont cru supprimer le miracle en supposant une action de la Providence non sur le monde matériel, mais sur la pensée humaine ; en imaginant des suggestions, des inspirations d’en haut, des idées providentielles ; mais la science contemporaine a établi une telle connexité entre la pensée et le mouvement, qu’il est impossible de ne pas voir dans toute action exercée sur la pensée une action exercée sur le monde matériel. On ne peut même pas changer ainsi la forme du miracle et immatérialiser la Providence pour la sauver : l’intervention spéciale de la Providence doit être matérielle ou ne pas être.

Il y avait donc une certaine logique dans la vieille conception des miracles, du surnaturel et de la Providence spéciale. Les religions ne s’y sont pas trompées : elles ont senti que, le jour où la Providence serait par trop exclusivement universelle, la religion s’absorberait dans la métaphysique, et c’est en effet ce résultat qui se produira dans l’avenir. Les religions ne s’en sont jamais tenues à l’idée de providence générale, et il est certain que, si la providence purement générale peut suffire à la raison abstraite d’un Malebranche, à son goût pour l’ordre, pour la symétrie et la loi, en revanche une telle conception n’est guère satisfaisante pour le cœur de l’homme, pour son sentiment de justice, pour le désir qu’il a, en se donnant un dieu, de trouver du moins en ce dieu un défenseur et un bienfaiteur. Le bienfait perd de son prix pour le genre humain en devenant trop indirect, et d’autre part l’humanité ne comprend guère une justice toute générale, traitant l’individu comme un moyen par rapport au tout, le sacrifiant au besoin, du moins pour un temps : la charité comme la justice lui semblent devoir être individuelles et spéciales. La providence universelle l’est tellement qu’on n’en trouve plus trace dans le détail, surtout dans le mal particulier et dans toutes les souffrances particulières dont se compose la réalité de la vie. Le dieu de Malebranche, incapable de montrer individuellement à aucun de nous sa bienveillance effective, se trouve paralysé