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l’association des sensibilités. — l’art.

La poésie des religions peut survivre à leur dogmatique : comme articles de foi, leurs idées sont aujourd’hui des anachronismes ; comme conceptions pratiques et philosophiques, elles sont en partie impérissahles, à l’égal de toute œuvre d’art. « Qui voudra, dit Lange, réfuter une messe de Palestrina ou accuser d’erreur la madone de Raphaël ? » Les religions ont inspiré tout un cycle d’œuvres littéraires et artistiques, ces œuvres leur survivront, du moins en partie : elles seront ce qui les justifiera le mieux un jour. Que nous reste-t-il des croisades aujourd’hui ? Parmi les meilleures choses qu’elles nous ont données, il faut compter quelques fleurs rapportées des pays lointains et propagées chez nous, — comme les roses de Damas, — des couleurs et des parfums qui ont survécu à la grande chevauchée de l’Europe contre l’Asie, au heurt d’idées et de passions éteintes aujourd’hui pour jamais.

Les prêtres, à certains points de vue, sont des artistes populaires ; seulement le véritable artiste doit se modifier avec le temps, comprendre les œuvres nouvelles, ne pas répéter indéfiniment le même thème musical ou poétique. Le côté faible de l’esthétique religieuse, c’est qu’elle ne connaît qu’un nombre restreint de drames ou de mystères qu’elle répète sans se lasser depuis des siècles. Elle devra un jour changer son répertoire. Qu’on se réunisse pour éprouver en commun une émotion à la fois esthétique et sérieuse, pour voir ou entendre quelque chose de beau, rien de mieux ; mais que cette émotion soit indéfiniment la même et que toute représentation ne soit qu’une répétition, c’est ce qui devient inadmissible. Le rite est inconciliable avec le double but que l’art se propose : variété et progrès dans l’expression des sentiments, variété et progrès dans les sentiments eux-mêmes. Il faudra donc tôt ou tard que l’art rudimentaire du rituel fasse place à des arts véritables et progressifs, par la même loi qui a fait que l’architecture instinctive et éternellement la même des oiseaux ou des insectes est devenue chez l’homme une architecture infiniment variée, qui a produit et produit encore les chefs-d’œuvre les plus divers, depuis Notre-Dame de Paris jusqu’à l’Alhambra.

En général, les hommes se réunissent pour écouter. La conférence ou le sermon, les chants, telle est la partie qui semble devoir subsister la dernière dans le culte religieux. Elle se retrouvera probablement, plus ou moins transformée, dans les associations de l’avenir comme dans celles du