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la genèse des religions.

tement l’origine des religions, ce serait, du même coup ou les condamner, ou au contraire les raffermir et les sauver.


Il est un premier point acquis par la critique contemporaine. Après les travaux de M. Roskoff, de M. Réville, de M. Girard de Rialle, il est impossible de soutenir qu’il existe aujourd’hui, sur la surface de la terre des peuples absolument dépourvus de religion ou de superstition (ce qui revient au même quand il s’agit des non-civilisés)[1]. L’homme est devenu un être superstitieux ou religieux par cela seul qu’il était un être plus intelligent que les autres. En outre, dès les temps préhistoriques, les monuments mégalithiques (menhirs, cromlechs, dolmens), les sépultures, les amulettes sont des indices certains de religiosité, auxquels il faut sans doute ajouter les rondelles crâniennes, ces fragments d’os détachés intentionnellement du crâne et percés parfois de trous de suspension[2]. La religiosité humaine remonte ainsi, d’une manière indiscutable, à l’âge de la pierre polie. Enfin, pour passer des faits aux hypothèses, on peut aller plus loin et imaginer que, dès le commencement des temps quaternaires — il y a peut-être deux cent cinquante mille ans — l’homme nourrissait déjà des superstitions vagues et élémentaires, quoiqu’il ne parût pas éprouver à l’égard de ses morts un respect suffisant pour leur creuser une sépulture et qu’on n’ait pas retrouvé ses fétiches.

Il est un second point que nous pouvons regarder comme également admissible et qui a des conséquences importantes pour la méthode même de nos études. La religion, n’ayant pas une origine miraculeuse, a dû se développer lentement, d’après des lois régulières et universelles ; elle doit tirer son origine d’idées simples et vagues, accessibles aux intelligences les plus primitives. C’est de là qu’elle a dû s’élever, par une évolution graduelle, aux conceptions très complexes et très précises qui la caractérisent aujourd’hui. Les religions ont beau se croire immuables, elles ont toutes été emportées à leur insu par l’évolution universelle. Le grand sphinx d’Égypte, accroupi dans le désert

  1. M. Roskoff, Das Religionswesen der Rohesten Naturvœlker (Leipzig, 1880). M. Girard de Rialle, Mythologie comparée (Paris, 1878). M. Réville, Les religions des peuples non civilisés (Paris, 1880).
  2. Voir M. G. de Morlillet, Le préhistorique. Antiquité de l’homme (Paris, 1883).