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l’irréligion de l’avenir.

L’objet de l’enthousiasme varie d’âge en âge : il s’est attaché à la religion, il peut aussi s’attacher aux doctrines et aux découvertes scientifiques, il peut surtout s’attacher aux croyances morales et sociales. De là cette nouvelle conséquence, que l’esprit même de prosélytisme, qui semble si particulier aux religions, ne disparaîtra en aucune manière avec elles : il se transformera seulement. Chez tout homme sincère et enthousiaste, ayant à dépenser une surabondance d’énergie morale, on trouve l’étoffe d’un missionnaire, d’un propagateur d’idées et de croyances. Après la joie de posséder une vérité ou un système qui semble la vérité, ce qui sera toujours le plus doux au cœur humain, c’est de répandre cette vérité, de la faire parler et agir par nous, de l’exhaler comme notre souffle même, de la respirer et de l’inspirer tout ensemble. Il n’y a pas seulement douze apôtres dans l’histoire de l’humanité ; on compte encore aujourd’hui et on comptera dans l’avenir autant d’apôtres que de cœurs restés jeunes, forts et aimants. Il n’existe pas d’idée dans notre cerveau qui n’ait un caractère social, fraternel, une force d’expression et de vibration par delà le moi. L’ardeur à propager les idées aura donc, dans la société future, une importance aussi grande que l’ardeur à les découvrir. Le prosélytisme tout moral prendra pour but de communiquer à autrui l’enthousiasme du bien et du vrai, de relever le niveau des cœurs dans la société entière, principalement chez le peuple.

Ici on nous fera peut-être plus d’une objection ; on nous signalera la difficulté de rendre populaire, indépendamment des religions, un enseignement de la morale conforme aux idées scientifiques de notre temps. Un professeur de la Sorbonne me soutenait un jour que, dans ce temps de crise des doctrines, tout enseignement un peu systématique de la morale, au lieu de la consolider, risque d’en altérer les fondements chez les jeunes esprits. Pas de théories, car elles aboutissent au scepticisme ; pas de préceptes absolus, car ils sont faux ; il ne reste à enseigner que des faits, de l’histoire : on ne trompe pas et on ne se trompe pas soi-même en alléguant un fait. En somme, plus d’enseignement proprement dit de la morale.

Nous croyons au contraire que, de toutes les théories si diverses sur les principes de la morale, on peut déjà tirer un certain fonds d’idées commun, en faire un objet d’en-