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l’association des volontés.

déjà plus près de vous entendre. Une lumière jaillit de l’union des cœurs.

L’universelle sympathie est le sentiment qui devra se développer le plus dans les sociétés futures. Dès aujourd’hui, par une évolution absolument inévitable, la religion chez les âmes les plus hautes a fini par se fondre avec la charité. Encore dures et stériles chez les peuples primitifs Quelles ne sont qu’un recueil de formules de propitiation, les religions ont fini, en se pénétrant de morale, par devenir l’une des sources essentielles de la tendresse humaine. Le bouddhisme et le christianisme se sont trouvés à la tête des principales œuvres de charité que l’homme ait entreprises. Condamnées fatalement, au bout d’un laps de temps plus ou moins long, à la stérilité intellectuelle, ces religions ont eu le génie du cœur. Les Vincent de Paul ont peu à peu remplacé les saint Augustin ou les saint Athanase, non sans profit pour l’humanité. Cette évolution ira s’accentuant sans doute. Aujourd’hui, par exemple, où si peu d’œuvres intellectuelles d’un vrai talent se sont produites dans la sphère théologique[1], beaucoup d’œuvres pratiques ont été conçues et exécutées par des prêtres. Un jour viendra sans doute où toute souffrance personnelle, réagissant sur les sentiments sympathiques, fera naître un désir de soulager la souffrance d’autrui. La douleur physique produit en général un besoin d’agitation physique : de même que des lois esthétiques viennent rythmer cette agitation, transforment les gestes désordonnés en mouvements réguliers, les cris en chants de douleur[2], de même, dans la souffrance morale, une loi plus complexe, intervenant de nouveau, peut diriger vers autrui l’instinct qui nous pousse à agir pour oublier de souffrir ; alors toute souffrance pourra devenir, chez celui même qui l’éprouve, une source de pitié à l’égard des souffrances d’autrui, tout malheur personnel sera un principe de charité.

Comme le sentiment artistique, le plus haut sentiment religieux doit être fécond ; il doit porter à l’action. Religion, si l’on en croit saint Paul lui-même, veut dire charité, amour ; or, il n’y a pas de charité sinon envers quelqu’un, et l’amour véritablement riche ne peut pas s’épuiser dans la contemplation et l’extase mystique, qui scienti-

  1. Pas une seule en France.
  2. Voir nos Problèmes d’esthétique, 1. III.