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l’association des intelligences.

Le tort des religions et aussi des systèmes socialistes, nous l’avons déjà remarqué, c’est de s’être figuré jusqu’ici l’individu comme présentant un type moral et intellectuel inique. Les êtres humains ne sont, ni au dedans ni au dehors, des figures de cire copiées sur le même patron ; la psychologie et la physiologie des peuples, — sciences encore embryonnaires, — nous montreront un jour toute la diversité qui existe dans les races humaines et qui, par des phénomènes d’atavisme sans nombre, ramène brusquement l’hétérogénéité au sein même des types les plus corrects. Le sentiment religieux, métaphysique et moral, doit prendre un jour toutes les formes, provoquer tous les groupements sociaux, se faire individualiste pour les uns, socialiste pour les autres, afin que les différents genres d’esprits puissent se rapprocher et se classer, — sous la seule condition de garder toute leur indépendance, de n’altérer en rien la liberté de leurs croyances par l’action de les mettre en commun. Plus on est uni, plus on doit être indépendant ; il faut tout partager sans pourtant rien aliéner : les consciences peuvent se faire transparentes l’une pour l’autre sans rien perdre de l’aisance de leurs mouvements. L’avenir, en un mot, est à l’association, pourvu que ce soit des libertés qui s’associent, et pour augmenter leur liberté, non pour en rien sacrifier.

Si, de ces principes généraux, nous passons à des applications particulières, nous trouvons trois formes essentielles de libre association qui devront survivre aux religions : celle des intelligences, celle des volontés, celle des sensibilités.


I. — ASSOCIATION DES INTELLIGENCES


La libre association des pensées individuelles permettra leur groupement toujours provisoire en des croyances variées et variables, qu’elles regarderont elles-mêmes comme l’expression hypothétique et en tous cas inadéquate de la vérité. Il y a des divisions et des subdivisions dans le monde de la pensée semblables aux divisions géographiques de notre terre ; ces divisions s’expliquent par la répartition même du travail : chacun a une tâche distincte à remplir, un objet distinct auquel il doit appli-