Page:Guyau - L’Irréligion de l’avenir.djvu/369

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
331
substitution des hypothèses aux dogmes.


III. — SUBSTITUTION DES HYPOTHÈSES MÉTAPHYSIQUES AUX DOGMES


Là où cesse la science positive, il y a encore place pour l’hypothèse et pour cette autre science, dite métaphysique, qui a pour but d’évaluer les probabilités comparatives des hvpothèses : savoir, supposer, raisonner dans tous les sens en partant de ce qu’on a supposé, chercher enfin, — ces mots paraissent rendre tout l’esprit moderne : nous n’avons plus besoin du dogme. La religion, qui n’était à l’origine qu’une science naïve, a fini par devenir l’ennemie même de la science ; à l’avenir, il faudra qu’elle se fonde, si elle le peut, dans la science elle-même ou dans l’hypothèse vraiment scientifique, je veux dire celle qui ne se donne que comme hypothèse, se déclare elle-même provisoire, mesure son utilité à l’étendue de l’explication qu’elle fournit et n’aspire qu’à disparaître pour faire place à une hypothèse plus large. Mieux vaut la science ou la recherche que l’adoration immobile. Ce qui seul est éternel dans les religions, c’est la tendance qui les a produites, le désir d’expliquer, d’induire, de tout relier en nous et autour de nous ; c’est l’activité infatigable de l’esprit, qui ne peut s’arrêter devant le fait brut, qui se projette en toutes choses, d’abord troublé, incohérent, comme il fut jadis, puis clair, coordonné et harmonieux, comme est la science d’aujourd’hui. Ce qui est respectable dans les religions, c’est donc précisément le germe de cet esprit d’investigation scientifique et métaphysique qui tend aujourd’hui à les renverser l’une après l’autre.

Le sentiment religieux proprement dit ne doit pas se confondre avec ce qu’on pourrait appeler l’instinct métaphysique : il en est profondément distinct. Il est appelé à se dissoudre avec l’extension de la science, tandis que l’autre pourra se transformer de toutes les façons sans disparaître. L’instinct de la spéculation libre répond d’abord à un sentiment indestructible, celui des bornes de la connaissance positive : il est comme la résonance en nous de l’immortel mvstère des choses. Il répond en outre à une autre tendance invincible de l’esprit, le besoin de l’idéal, le besoin de dépasser la nature visible et tangible, non seulement par l’intelligence, mais par le