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substitution du doute à la foi.

apporter à la fourmilière un vermisseau de moins, même si elle voit l’univers au delà de sa fourmilière et l’éternité au delà de l’instant qui passe.


II. — Si la suppression du dogme religieux n’aboutit pas au scepticisme, sa vraie et première conséquence n’en est pas moins le doute, et nous croyons que le sentiment moderne du doute est bien supérieur à la foi antique en un dogme. La foi religieuse se distingue des croyances philosophiques par une différence de conscience, de réflexion sur soi. Si l’homme qui a sa foi n’est pas tout à fait aveugle, du moins n’aperçoit-il qu’un point de l’horizon intellectuel ; il a mis son cœur quelque part, et le reste du monde n’existe pas pour lui ; il reviendra toujours au coin choisi, à ce nid de sa pensée et de son espérance dont nous parlions tout à l’heure ; il y reviendra comme le pigeon lâché retourne à son pigeonnier et ne distingue que lui dans l’immense espace. Le fanatisme marque un degré d’inconscience de plus dans la foi. Au contraire, plus la conscience fait de progrès au sein de l’humanité, plus la foi religieuse se fond dans la crovance philosophique ; les deux sentiments ne se distinguent pkis que par une différence d’acuité dans le doute, qui tient elle-même à un degré de netteté dans laision des choses et de leurs faces multiples. À mesure que la conscience croit, elle manifeste ici comme partout son influence destructive sur l’instinct : tout ce qu’il y avait d’instinctif, de primitif, de naïf dans la foi disparaît ; en même temps s’en va ce qu’il y avait de fort, ce qui en faisait une puissance si redoutable installée dans le cœur humain. La vraie force revient à la raison consciente d’elle-même, consciente des problèmes, de leur complexité, de leurs difficultés ; c’est la substitution de la lumière à la chaleur obscure comme principe moteur.

La foi, nous l’avons vu, consiste à affirmer des choses non susceptibles de vérification objective avec la même force subjective que si elles pouvaient se vérifier, à rendre dans les consciences l’incertain dynamiquement égal ou même supérieur au certain. L’idéal du philosophe, au contraire, serait une correspondance parfaite entre le degré de probabilité des choses et le degré de l’affirmation intérieure. Il faudrait que notre conscience reproduisît exactement notre science avec ses démonstrations et ses hésita-