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l’irréligion de l’avenir.

s’éteignent, il y a cependant en tout esprit une part d’éternité. Dans certaines nuits d’automne se produisent au ciel de véritables pluies d’aérolithes : on voit, par centaines à la fois, ces petits astres se détacher du zénith, comme les flocons d’une neige lumineuse ; il semble que la voûte même du ciel éclate, que rien ne soutient plus les mondes en train de s’effondrer sur la terre, que toutes les étoiles vont descendre à la fois et laisser une nuit sans tache au firmament devenu opaque : mais bientôt le tourbillon d’astres passe, ces lueurs d’une seconde s’éteignent, et alors, toujours à leur place sur la grande voûte bleue, on voit reparaître la clarté sereine des étoiles fixes : tout ce désordre se passait bien au-dessous d’elles et n’a point troublé l’éclat tranquille de leurs rayons, l’incessant appel de leur lumière. L’homme répondra toujours à ces appels : devant le ciel ouvert et l’interrogation posée dans la nuit par les grands astres, on ne se sent las et faible que quand on ferme lâchement les yeux. L’humanité ne perdra rien de sa force intellectuelle à voir, par la disparition de la foi religieuse, l’horizon s’agrandir autour d’elle et les points lumineux se multiplier dans l’immensité. Le vrai génie est spéculatif, et dans quelque milieu qu’on le place, il spéculera toujours ; il a spéculé jusqu’ici en dépit de ses croyances, il spéculera encore mieux en dépit de ses doutes, parce que telle est sa nature.

Et il ne faut pas craindre que cette puissance spéculative de l’esprit humain, en s’augmentant, paralyse sa puissance pratique. Les intelligences assez larges, tout en regardant le monde de plus haut, ne cessent pas de le voir tel qu’il est et de comprendre la vie humaine telle qu’elle doit être. Il faut savoir être avec conviction un homme, un patriote, un « tellurien, « comme disait Amiol avec quelque mépris : cette fonction, considérée en soi, peut paraître mesquine dans l’ensemble des choses, mais un esprit droit ne la remplira pas avec moins de conscience parce qu’il en voit les limites et l’importance restreinte. Rien n’est en vain, à plus forte raison nul être n’est en vain : les petites fonctions ont leur nécessité comme les grandes. Un homme d’esprit, s’il était portefaix ou balayeur public, ne devrait-il pas s’appliquer même à cette profession peu relevée et balayer par devoir comme d’autres se dévouent ? Faire bien ce que l’on a à faire est le premier des dévouements, quoi qu’il en soit le plus humble. Une fourmi de génie n’en doit pas