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substitution du doute à la foi.


II. — L’ANOMIE RELIGIEUSE ET LA SUBSTITUTION DU DOUTE À LA FOI


I. — Nous avons ailleurs proposé comme idéal moral ce que nous avons appelé l’anomie morale, l’absence de règle apodictique, fixe et universelle[1]. Nous croyons plus fermement encore que l’idéal de toute religion doit être de tendre vers l’anomie religieuse, vers l’affranchissement de l’individu, vers la rédemption de sa pensée, plus précieuse que celle de sa vie, vers la suppression de toute foi dogmatique sous quelque forme qu’elle se dissimule. Au lieu d’accepter des dogmes tout faits, nous devons être nous-mêmes les ouvriers de nos croyances. La foi serait sans doute, quoi qu’en dise Montaigne, un oreiller bien plus commode à la paresse que celui du doute. C’est pour beaucoup un véritable nid de la pensée où l’on se blottit à l’abri, où l’on cache sa tête sous une aile protectrice, dans une obscurité tiède et douce ; c’est même un nid préparé d’avance, comme ceux qu’on vend pour les oiseaux domestiques, faits de main d’homme et placés déjà dans une cage. Nous croyons cependant que, dans l’avenir, l’homme prendra de plus en plus l’horreur des abris construits d’avance et des cages trop bien closes. Si quelqu’un de nous éprouve le besoin d’un nid où poser son espérance, il le construira lui-même brin par brin, dans la liberté de l’air, le quittant quand il en est las pour le refaire à chaque printemps, à chaque renouveau de sa pensée.

L’absence de religion, l’anomie religieuse sera-t-elle le scepticisme ? — Depuis la disparition des Pyrrhon et des Œnésidème, le scepticisme n’est plus qu’un mot qui sert à englober les doctrines les plus diverses. Les sceptiques grecs aimaient à s’appeler les chercheurs, Ζητητικοί ; c’est le nom qui convient à tout philosophe, qui définit même le philosophe par opposition au croyant. Mais comme on abuse du terme de sceptique, au sens moderne et négatif ! Si vous n’appartenez à aucun système

  1. Voir notre Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction.