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une nouvelle religion est-elle possible ?

superfétation, une habitude presque superstitieuse conservée mécaniquement et destinée à disparaître.

Le mouvement qui, dans certains pays, porte la religion à abandonner ses dogmes et ses rites, est en réalité un mouvement de désagrégation, non de reconstitution. Les croyances humaines, telles qu’elles se reconstitueront un jour, ne porteront nullement la marque des religions dogmatiques et ritualistes : elles seront simplement philosophiques. Dans certains milieux, il est vrai, tout système philosophique tend à prendre la forme pratique et sentimentale d’un système de croyances ou d’espérances. C’est ainsi que les idées de Kant et de Schelling, passant en Amérique, ont aussitôt donné naissance au transcendantalisme d’Emerson et de Parker ; c’est ainsi que la philosophie de l’évolution de Spencer y a produit plus tard la religion du Cosmisme, représentée par MM. Fiske, Potter, Savage. Mais toutes ces prétendues religions ne sont que la projection, l’ombre mouvante abaissée dans le domaine du sentiment et de l’action par les spéculations du domaine intellectuel. Il ne suffit pas d’avoir le même ais sur quelque point de métaphysique ou de sociologie, puis de se réunir dix ou cent dans un théâtre ou un temple, pour fonder ainsi, avec une religion nouvelle, un culte nouveau. À la plupart de ces prétendues religions, qui ne sont que des philosophies et quelquefois des philosophies faussées, on peut appliquer ce mot de Mark Pattison, qu’on interrogeait sur ce qu’il avait vu à la chapelle des comtistes de Londres : « Trois personnes, et pas de Dieu. »

Les défauts de ces cultes de formation moderne apparaissent plus sensibles qu’ailleurs dans le sécularisme, qui a eu son heure de succès en Angleterre. C’est une religion purement athée et utilitaire, ayant conservé le plus possible le rituel de l’Église anglicane. Cette contradiction entre le vide du fond et la prétention de la forme aboutit parfois à des conséquences risibles, à une véritable parodie[1].

  1. Voici, par exemple, les versets par lesquels les sécularistes ont remplacé l’ite missa est :

    Portez-vous bien, chers amis ! adieu, adieu,
    Réjouissez-vous d’une façon sociable :
    Alors le bonheur résidera avec vous :
    Portez-vous bien, chers amis, adieu, adieu.
    Portez-vous bien, chers amis, adieu, adieu,
    Souvenez-nous de cette nuit ;