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l’irréligion de l’avenir.

être un prophète écouté, une condition essentielle est d’être un prophète de bon augure. Nous croyons donc la métaphysique religieuse, après les deux immenses efforts du bouddhisme et du christianisme, — le mahométisme n’est qu’une vulgarisation sans grande valeur, — réduite désormais à la stérilité ou à la répétition. Autant se multiplient les hypothèses sévères et vraiment philosophiques qu’on peut tirer aujourd’hui de la généralisation même des sciences, autant sont condamnées à l’uniformité et à la banalité ces hypothèses enfantines qui résolvaient d’un seul coup, et d’une manière toute consolante, la question des destinées humaines ou cosmiques. Il faut sortir des conditions où s’est placé jusqu’ici l’esprit religieux pour trouver quelque chose de neuf en métaphysique ; il faut dépasser toute idée assez primitive pour être encore à la portée d’un hottentot ; il faut, pour cela même, ne plus poursuivre l’universel, le catholique, dans la sphère de la spéculation.

Même situation en morale. Peut-on, en fait de morale exaltée et entraînante, aller plus loin que le christianisme et le bouddhisme, qui prêchent tous deux l’altruisme exclusif, l’abnégation absolue ? On ne pourrait que revenir dans une certaine mesure en arrière, modérer certains élans exagérés de dévouement dans le vide, accommoder à la réalité, mitiger ou pondérer cette morale mystique. Mais, avec une telle tâche, un nouveau Messie serait impuissant : on n’entraîne pas d’un coup l’humanité par des paroles simplement sensées, représentant le devoir dans sa froideur, l’humble et terne devoir de la vie de chaque jour. L’honnête bon sens n’est pas contagieux à la façon de ces exaltations religieuses qui courent sur les hommes et passent. Le sentiment moral peut avec le temps s’infiltrer dans chacun de nous, gagner de proche en proche, monter comme une onde, mais si lentement que nous ne le sentons même pas. Les perfectionnements les plus durables sont souvent les plus inconscients. Il est difficile, par un simple élan de foi, de monter brusquement plusieurs degrés dans l’échelle des êtres. Le vrai perfectionnement moral est parfois juste le contraire de ces entraînements d’héroïsme qui tombent ensuite. La « passion du bien, » en devenant victorieuse, cesse d’être une passion : il faut qu’elle se mêle à notre nature, à notre tempérament normal, à cette « chair » même que maudissent es mystiques ; il faut que l’homme devienne bon, pour