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l’irréligion de l’avenir.

mesure. Si humbles qu’aient été les commencements du christianisme, il ne faut pas se laisser duper par des illusions historiques, ni croire qu’il ait dû son triomphe à de simples coïncidences d’événements heureux, que le monde par exemple, selon une hypothèse de M. Renan, eût pu très facilement devenir mythriaste. Les disciples d’un certain Chrestus, mentionnés pour la première fois par Suétone, avaient, pour étayer leurs croyances encore vagues, deux épopées incomparables au point de vue poétique, la Bible et les Évangiles ; ils apportaient au monde une morale admirable jusque dans ses erreurs et originale surtout pour la foule ; ils lui apportaient, en outre, une grande idée métaphysique, celle de la résurrection, qui, combinée avec les idées des philosophes, devait nécessairement donner naissance à la doctrine de l’immortalité personnelle. Le christianisme devait donc vaincre ; il devait trouver son saint Paul ; la Bible et les Évangiles étaient des œuvres trop belles pour rester oubliées ou sans action. On n’a pas un seul exemple, dans l’histoire, d’un grand chef-d’œuvre à la fois littéraire et philosophique qui soit passé tout à fait inaperçu, sans exercer d’influence sur la marche de l’humanité. Toute œuvre qui possède une assez large mesure de beau ou de bien est sûre de l’avenir.

C’est par les masses et par le peuple que les mouvements religieux ont commencé jadis ; or une religion nouvelle ne pourrait nous venir aujourd’hui ni de la masse ignorante des peuples orientaux, ni des basses classes de notre société. Dans les civilisations antiques, les mêmes superstitions naïves unissaient toutes les classes sociales. Marc-Aurèle se voyait forcé de présider en grande pompe une cérémonie en l’honneur du serpent d’Alexandre d’Abonotique, qui avait des fidèles jusque dans son entourage. Aujourd’hui, un évêque d’Australie a pu refuser d’organiser des prières pour la pluie, en déclarant que les phénomènes atmosphériques étaient réglés par des lois naturelles inflexibles, et en engageant ses fidèles, s’ils voulaient un remède contre la sécheresse, à améliorer leur système d’irrigation. Ces deux petits faits marquent toute la différence des temps. Le terme méprisant de Barbares, sous lequel les Grecs et les Romains désignaient tous les autres peuples, n’était rien moins qu’exact, puisqu’en somme les Hébreux et les Hindous avaient une religion plus profonde que la leur, et même une littérature à cer-