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introduction.

racine, métamorphosant les êtres humains et leurs croyances de manière à les rendre méconnaissables[1].

Un des maîtres de la critique religieuse. M. Renan, écrivait à Sainte-Beuve : « Non, certes, je n’ai pas voulu détacher du vieux tronc une âme qui ne fût pas mûre. » Pas plus que M. Renan, nous ne sommes de ceux qui croient avoir tout fait quand ils ont secoué des arbres et jeté sur la terre toute une récolte meurtrie ; mais, si l’on ne doit pas au hasard faire tomber des fruits verts, on peut chercher à les faire mûrir sur la branche. Notre cerveau est de la chaleur solaire transformée ; il s’agit de répandre cette chaleur, de redevenir rayon de soleil. Cette ambition est très douce, elle n’a rien d’exorbitant, si l’on songe combien un rayon de soleil est peu de chose, combien il s’en perd dans l’infini ; il a pour-

  1. « Vous vous occupez de la religion, m’écrit un homme d’esprit, incrédule d’ailleurs : il y a donc encore une religion ! tant mieux pour ceux qui ne peuvent s’en passer. » Cette boutade résume exactement la situation d’esprit d’une bonne partie des Français éclairés : ils s’étonnent profondément que la religion soit encore debout, et de leur étonnement même ils tirent la conviction qu’elle est nécessaire. Leur surprise devient alors du respect, presque de la religiosité. — Assurément les religions positives existent en fait et existeront longtemps encore, et, puisqu’elles existent, elles ont des raisons d’exister ; mais il faut bien aussi que ces raisons diminuent de jour en jour, puisque de jour en jour le nombre des croyants diminue. Au lieu de s’incliner devant le fait comme devant un droit, il faut se dire qu’en modifiant le fait, on modifie et on supprime les raisons d’être de ce fait ; en faisant reculer devant soi les religions, l’esprit moderne démontre qu’elles ont de moins en moins droit à la vie. Que certaines gens ne puissent s’en passer encore, rien de plus vrai ; mais, tant qu’ils ne pourront pas s’en passer, la religion existera pour eux : nous n’avons aucune inquiétude à avoir de ce côté ; à mesure qu’en eux-mêmes la certitude s’ébranlera, ce sera la preuve que leur intelligence s’est assez élargie pour n’avoir plus besoin d’une règle autoritaire. De même pour les peuples. Rien de plus naïf que de s’appuyer sur la nécessité même des transitions pour nier le progrès : c’est comme si, en considérant la petitesse des pas humains, on voulait en conclure l’impossibilité de la marche en avant, l’immobilité sur place de l’homme, semblable à celle du coquillage attaché à la pierre, du mytilus fossile figé pour toujours dans le rocher même auquel il s’était lié.