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une nouvelle religion est-elle possible ?

de s’instruire sérieusement dans l’histoire des religions ; mais le jour où ils étudient ainsi sincèrement les religions comparées, avec l’intention de convertir autrui, ils ne tardent pas à se convertir eux-mêmes, ou du moins à rejeter toute croyance en une révélation spéciale[1]. Concluons que les grandes religions, principalement les religions « universalistes », arrivées aujourd’hui à la plénitude de leur développement, se balancent et se limitent l’une l’autre. Dans ces vastes corps en équilibre, la vie ne se révèle plus guère qu’intérieurement, par la formation de centres nouveaux d’activité qui se détachent du noyau primitif, comme il arrive pour le protestantisme scindé chaque jour en sectes plus nombreuses et pour l’hindouisme même, de telle sorte que le signe de la vie pour ces religions est précisément le commencement de la désagrégation. L’avenir, au lieu de nous promettre une unité religieuse, semble donc au contraire devoir produire une diversité toujours croissante, un partage en groupes toujours plus nombreux et plus indépendants, une individualisation toujours plus grande.


On a cru trouver dans la multiplicité toujours croissante des sectes, par exemple des sectes protestantes, dans les efforts courageux de certains disciples de Comte ou de Spencer, dans la naissance du mormonisme en Amérique ou du brahmaïsme aux Indes, des symptômes d’une fermentation religieuse analogue à celle qui agitait le monde au temps des Antonins, et pouvant aboutir comme elle à une rénovation. « Tout dans la nature a d’humbles commencements, et nul ne peut dire aujourd’hui si la mission inconsciente des pêcheurs et des publicains groupés, il y a dix-huit siècles, sur les bords du lac Tibériade, autour d’un doux et mystique idéaliste, n’écherra pas demain à telle association de spirites prophétisant dans un repli des Montagnes-Rocheuses, à tel conventicule

  1. V. M. Goblet d’Alviella, L’évolution religieuse. Le prosélytisme religieux des anglo-saxons en est arrivé déjà au point de se contredire, de se paralyser lui-même. La société théosophique des États-Unis a envoyé en 1879, dans les Indes, des missionnaires ou plutôt des contre-missionnaires, qui s’étaient assigné pour but « de prêcher la majesté et la gloire de toutes les anciennes religions, ainsi que de prémunir l’Hindou, le Cingalais, le Parsi, contre la substitution d’une foi nouvelle aux enseignements des Védas, du Tri-Pitâka et du Zend Avestà. » Dans l’Inde et dans l’île de Ceylan, ces contre-missionnaires ont ramené à leur foi primitive des milliers d’indigènes convertis par des missionnaires chrétiens.