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dissolution des religions.

toujours en un certain sens coloniser, même quand on ne sort pas du sol natal ; c’est se lancer ou lancer ses enfants dans des voies inconnues : il faut pour cela de l’activité d’esprit, il faut une sorte de fécondité intellectuelle inséparable de l’autre. La création d’une famille nombreuse est une véritable entreprise sociale, comme la création d’une maison de commerce ou d’une ferme agricole est une entreprise économique. Pour faire réussir l’une comme l’autre, il faut des efforts constants, mais l’une comme l’autre peut rapporter des avantages de toute sorte à celui qui a réussi. Supposez dix enfants élevés dans le travail et l’honnêteté, il y a grande chance pour qu’ils forment autour des parents une sorte de phalange protectrice, pour qu’ils leur donnent, sinon des bénéfices directs et grossiers, tout au moins honneur et bonheur. Seulement, nous ne nous le dissimulons pas, élever une famille, c’est toujours courir un risque : toutes les fois qu’on entreprend quelque chose, on risque d’échouer. Il faut donc développer l’esprit d’entreprise et d’audace, si puissant autrefois dans la nation française. Aujourd’hui, beaucoup de gens restent célibataires pour les mêmes raisons qu’ils restent petits rentiers sans essayer d’accroître leur fortune dans le commerce ou l’industrie : ils ont peur de la famille, comme ils ont peur des risques commerciaux ; ils consomment au lieu de produire, parce que la production est inséparable d’une certaine mise de fonds et d’activité. De même encore beaucoup de gens, une fois mariés, tâchent de réduire pour ainsi dire le mariage au minimum, en évitant presque la famille ; ils n’osent pas avoir d’enfants : ils ont toujours peur de dépenser quelque chose d’eux-mêmes, en sortant de la coquille de leur égoïsme mal entendu.

L’émigration que la loi devrait surtout favoriser, c’est l’émigration dans les colonies françaises. De là une réforme nécessaire dans la loi militaire. En fait, et malgré la loi du 27 juillet 1872, le gouvernement est forcé d’amnistier les nombreux basques ou savoisiens qui émigrent pour échapper à la loi militaire. Aussi le seul courant d’émigration important qui existe en France va-t-il se perdre dans des colonies étrangères, y créer souvent des industries rivales de la nôtre, bien rarement y ouvrir des débouchés avantageux pour notre commerce. Ne serait-il pas urgent de mettre nos colonies dans une situation aussi avantageuse pour l’émigrant que tout autre pays étranger ?