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dissolution des religions.

champ comprendra qu’il a fait un mauvais calcul si à cause même de cet unique héritier, la loi impose fortement sa succession. Au contraire, celui qui dépense beaucoup pour élever beaucoup d’enfants aura du moins cette satisfaction de penser que tout ce qu’il possède leur parviendra presque intégralement, que le trésor public en prélèvera peu de chose et que, si ses biens sont divisés, ils ne seront pas du moins amoindris : presque rien ne « sortira de la famille[1]. »

Au début de toute réforme des lois sur les héritages, il faut poser ce principe que deux motifs excitent seuls l’homme à amasser un patrimoine : son intérêt personnel ou celui de sa femme et de ses enfants. Aussi, toutes les fois qu’un homme est veuf et sans enfants, son héritage peut être frappé d’un impôt très élevé sans que la considération de cette perte d’argent puisse l’émouvoir beaucoup ni entraver cette soif de capitaliser que la société doit respecter chez tous en vue de son propre intérêt. Un impôt considérable sur la succession des célibataires et des ménages sans enfants serait donc une réforme d’une évidente équité. Pas plus ici que pour la taxe du célibat il ne s’agit d’une sorte de punition ou d’amende ; il s’agit de ce simple fait qu’un homme qui n’a pas élevé d’enfants a dépensé beaucoup moins pour la société, et que la société a toujours le droit, soit de son vivant, soit à sa mort, de lui demander une compensation. Elle doit le faire en vertu même de la proportionnalité des charges.

Étant donnée la prépondérance que tend à prendre dans

  1. Supposons, pour prendre un chiffre un peu au hasard, que la loi frappe d’un impôt équivalent à 20 pour 100 la succession destinée à un fils unique ; elle pourrait frapper de 15 pour 100 seulement la succession destinée à deux enfants, de 10 pour 100 celle de trois, de 8 pour 100 celle de quatre, de 6 pour 100 celle de cinq, de 4 pour 100 celle de six, de 2 pour 100 celle de sept. Enfin les successions destinées à plus de sept enfants pourraient être entièrement déchargées de l’impôt. Remarquons que cette gradation approximative dans le chiffre des impôts existe dès maintenant, mais renversée. Voici en quel sens on pourrait le soutenir : plus la succession doit être morcelée entre un grand nombre d’enfants, plus les frais de vente et de partage deviennent considérables, plus d’autre part la propriété ainsi morcelée perd de sa valeur. On citerait des cas nombreux dans lesquels les successions, devant écheoir à sept ou huit enfants, ont perdu par le partage et la transmission non-seulement vingt, mais vingt-cinq et même cinquante pour cent de leur valeur. Au contraire, l’héritage transmis à un seul héritier n’a à subir que l’impôt actuel, qui est au plus de dix pour cent. Ici, comme partout ailleurs, la loi protège en fait les familles infécondes, elle pousse à la stérilité.