Page:Guyau - L’Irréligion de l’avenir.djvu/321

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
283
la religion et la fécondité des races.

souvent presque à la fois les coups et l’enfant. La crainte de l’enfant est plus fréquemment qu’on ne croit une cause de dissensions dans les ménages pauvres, comme d’ailleurs dans les ménages riches. Du moment où la femme raisonne au lieu de se laisser guider par la foi, elle ne peut pas manquer de sentir la très grande disproportion qui existe pour elle entre les joies de l’amour et les souffrances de la maternité. Il faudrait qu’une nouvelle idée intervînt ici, celle du devoir, et non pas seulement d’une obligation religieuse, dont le mari peut se railler, mais d’une obligation morale.

L’éducation catholique, nous l’avons déjà remarqué, a le grand tort d’élever les jeunes filles dans une fausse pudeur, ne leur parlant jamais des devoirs du mariage de peur d’éveiller leur imagination au sujet du mari futur. C’est exactement le résultat contraire qui est obtenu. La jeune fille ne voit dans le mariage que le mari futur et des plaisirs inconnus. Elle ne s’attend pas à des devoirs pénibles, elle n’y est pas résignée par avance ; elle ne les considère même pas comme des devoirs, mais comme des nécessités ; elle n’a qu’une ambition, celle de s’y soustraire. Il faudrait pourtant élever avant tout la mère dans la jeune fille ; notre éducation actuelle n’est vraiment adaptée qu’à la formation de religieuses ou de vieilles filles, — quelquefois de filles perdues, — puisque nous négligeons d’inculquer de bonne heure à la femme le sentiment de ce devoir essentiel qui constitue pour elle sa fonction propre et une bonne partie de sa moralité, le devoir maternel. Par bonheur la femme mariée ne peut pas se rendre inféconde de sa propre volonté, il lui faut un complice dans le mari : c’est ce dernier qui a ici toute la responsabilité. Si le mari, pour plaire à sa femme ou aux parents de sa femme, accepte d’être malthusien malgré lui, il joue là un rôle à peu près aussi ridicule que celui de Georges Dandin : l’homme qui se laisse imposer de n’avoir pas d’enfants est presque aussi débonnaire que celui qui accepte les enfants des autres.

Une autre cause morale qui explique la faiblesse de la natalité en France, c’est, chose étrange, que l’amour paternel ou maternel s’y montre plus tendre et plus exclusif que dans les autres pays. La famille française, quoi qu’on en ait dit, est beaucoup plus étroitement unie que la famille anglaise et allemande : il y a une sorte de fraternité dans les rapports des parents et des enfants.